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"Un néant follement attifé": modernité de Renée Vivien et Catherine Pozzi Elisabeth Cardonne-Arlyck Vois, tu as là Pour la mort même une robe de fête. Yves Bonnefoy LES POÈTES Renée Vivien et Catherine Pozzi, souffrant la premi ère d'anorexie, la seconde de tuberculose, et toutes deux éprises des robes de grands couturiers, Doucet, Callot, possédaient, selon photographies, auto-portraits et témoignages, cette "maigreur élégante" que Baudelaire attribue au corps décapité d'"Une martyre".1 Décharné par la maladie et parfaitement vêtu, leur corps peut s'imaginer marqué par la beauté moderne, à la fois morbide et gaie, paradoxale, telle que l'a définie le poète, et telle qu'elle se retrouve dans une certaine iconographie de la Belle Epoque, comme les dessins d'Aubrey Beardsley, les tableaux de Gustav Klimt, ou, particulièrement frappantes, les poupées de Lotte Pritzel2: "O charme d'un néant follement attifé!"3 Cette modernité, vitalité clignant à la mort, excès de forme tiré du néant, dont Walter Benjamin a scruté les traits incisifs et mélancoliques dans l'œuvre de Baudelaire, représente l'envers saturnien de la rationalité moderniste et progressiste qui domine la pensée du dix-neuvième siècle. En cet envers, que, reprenant le terme de Nietzsche, Christine BuciGlucksmann nomme "modernité intempestive", on voit à l'œuvre, ditelle , "la raison baroque, avec sa théâtralisation de l'existant, sa logique de l'ambivalence"—laquelle, affirme-t-elle, "n'est pas seulement une raison autre interne à la modernité. Elle est avant tout la Raison de l'Autre, de son excès et de ses débordements".4Or, cet autre, en lequel la modernité se retourne sur elle-même à partir de son plus étranger, Baudelaire et après lui toute la fin-de-siècle le figurent par le féminin, non pas éternel mais contemporain, beauté "surprenante" que seul peut saisir l'oxymore en cascade, "explosion dans les ténèbres", "astre noir versant la lumière et le bonheur", "miracle d'une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique", selon la magnifique évocation du "Désir de peindre".5 La dernière figure est lisible à double sens: la femme naît de la combustion métaphorique, mais, aussi bien, c'est d'elle que jaillit la lave 106 Winter 1997 Cardonne-Arlyck du poème: la modernité donne à voir le féminin (à travers ce que BuciGlucksmann et d'autres qualifient de "féminisation de la culture"), mais le féminin offre à dire la modernité. Ainsi est-il loisible d'interpréter l'exclamation sur laquelle débute le poème en prose de Baudelaire: "Malheureux peut-être l'homme, mais heureux l'artiste que le désir déchire! " Si le renoncement à Dieu et au progrès ferme l'horizon ("le monde va finir", dit le poète), le féminin permet de creuser en lit de poésie le déchirement d'un désir arrêté sur la mort: la beauté soleil-noir "donne le désir de mourir lentement sous son regard". Mais si l'artiste même est femme? Quel visage peut prendre la modernité "intempestive" quand le sujet mélancolique ne saurait trouver dans un féminin unitaire l'altérité radicale (même si parfois fraternelle), la raison de l'autre (du mal, de la mort, du néant) qu'y rencontre le sujet masculin? Christine Buci-Glucksmann veut voir dans la figure de Salomé, dont s'obsède la Belle Epoque, l'inscription nouvelle d"'un désir de femme", par laquelle l'économie psychique de la mélancolie baudelairienne, "marquée par l'intériorisation de la mort, le retrait, la non-plénitude, l'abîme", s'inverse en "une logique de réalisation et presque de 'matérialisation de l'Etre' " (112-13). Bien que la Salomé inventée par Mallarmé, Wilde, Moreau, Strauss, Klimt et maint autre ne puisse figurer le désir féminin qu'à l'intérieur d'une symbolique masculine à laquelle elle n'échappe pas, et que la notion de "matérialisation de l'être" nous rapproche dangereusement...

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