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Paul Zumthor: Errance et transgressions dans une destinée d'historien Yves Bonnefoy PAUL ZUMTHOR était bien conscient de la singularité de son destin. Par exemple, il y a réfléchi dans quelques écrits des années 80, abordant la question par le biais des lieux où il avait eu à vivre, des haltes mais aussi des départs, des recommencements qui furent siens, une approche par le dehors mais qui n'est pas sans ressources métaphoriques , et dont il sentait bien qu'elle touchait à plus essentiel. Dans Points de repères, qui sont ses réponses à un questionnaire de 1989, et dans l'important entretien de 1986 avec André Baudet intitulé Ecriture et Nomadisme, il expose ainsi quelques bizarreries de son existence, quelques paradoxes de sa carrière. Francophone mais d'ascendance alémanique, ce qui éveilla sa curiosité pour la langue allemande, qu'avec grande ardeur il apprit seul, dès l'enfance; suisse ou pour mieux dire genevois, mais appelé dès ses six ou sept ans à vivre en France, où il resta établi, avec sa famille, et commença ses études supérieures, en droit, en lettres, jusqu'au jour où il lui fallu comprendre qu'un étranger n'avait pas le droit de se présenter à l'agrégation; de retour à Genève où il soutint son doctorat—sur Merlin l'enchanteur—et se maria, mais pour en repartir aussitôt après ou presque, cette fois pour la Hollande où on lui offrait une chaire; et l'heureux habitant ensuite des Pays-Bas, le passionn é d'Amsterdam et de son histoire, mais celui qui tout aussi bien, après plus de vingt ans, quitta brusquement ce havre de son travail, et d'une façon assez remarquable. Il avait enseigné d'abord à Groningue. A Amsterdam, il avait dirigé à l'université de cette ville l'Institut d'études romanes, il avait assuré le développement de celui-ci, il y avait bénéficié, en paix et parmi les livres, de ces conditions favorables que souhaite tout chercheur épris de rigueur, il put ainsi élargir et approfondir ses recherches, jusqu'à l'Essai de poétique romane, —néanmoins il rompit, c'est là son mot, avec cette situation, avec cette vie, et après un passage à Vincennes, un autre à Chicago, il débarqua en 1972, à 55 ans, à l'aéroport de Montréal, "porteur pour toute fortune, dit-il, d'une valise de vêtements et d'une de livres". A Montréal il allait achever sa carrière universitaire; mais bien loin donc des pays où il avait fait ses études, dont 104 Spring 1998 Bonnefoy il étudiait la littérature ancienne, et qui ne l'avaient certes pas méconnu. Le Paul Zumthor qui quittait l'Europe était un médiéviste très respecté, il était même membre de l'Institut. Mais il est vrai qu'il avait aussi beaucoup voyagé déjà , souvent en des occasions professionnelles mais étendues quelquefois à de véritables séjours, ainsi en Afrique, et qu'il parlait de ces voyages avec un intérêt passionné: ils "satisfaisaient un besoin très profond", déclare-t-il. Quel besoin donc? Paul Zumthor ne fut pas sans en dire au moins un des aspects essentiels. En voyage, "tantôt je prends chaque jour des notes, tient un journal, tire des photos; tantôt je ne le fais que de façon irrégulière et partielle; tantôt enfin, pas du tout. Avec les années, le "pas du tout" l'emporte. N'est-ce pas là l'indice que quelque chose se refuse à ce que le voyage devienne le substitut de quoi que ce soit, en tout cas le substitut du lieu où l'on est? l'indice qu'une conviction se fait jour: le voyage doit demeurer "nomadisme pur". Et Paul Zumthor parlait aussi de son "moi nomade" et, en effet, il faut bien qu'il y eût en lui, bien profond, le besoin de partir, de tout laisser derrière soi, de planter sa tente toujours ailleurs, emportant simplement la farine dont il ferait du pain sur une pierre chauffée...

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