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L'Islam syncrétique de Driss Chraïbi Carine Bourget DE NOMBREUX TRAVAUX réalisés sur l'intertextualité montrent l'importance d'un contexte encyclopédique commun à l'écrivain et son lecteur pour l'identification d'allusions à d'autres textes. Dans le cas des auteurs maghrébins musulmans qui puisent dans leur héritage arabo-islamique, leur lectorat occidental doit se familiariser avec une culture stigmatisée par une longue tradition d'inimitié et un contexte socio-politique tendu. Cet essai montre que l'intertexte islamique présent dans certains textes est indispensable à leur juste appréciation. Pour reprendre la définition de Michael Riffaterre, "an intertext is one or more texts which the reader must know in order to understand a work of literature in terms of its overall significance"1. Les romans dits berbères de Chraïbi (Enquête au pays, La Mère du printemps, Naissance à l'aube)1 sont toujours lus comme une démystification de l'histoire officielle, qui promeut la culture arabo-musulmane au détriment des populations indigènes. Selon Kaye et Zoubir, Chraïbi souscrit à la politique berbère adoptée par le pouvoir colonial français qui érigea la berbérité comme païenne, démocratique et anti-arabe afin de contrer le pouvoir de l'Islam3. La dédicace de La Mère du printemps semble appuyer cet argument; elle comprend le fleuve qui donne son titre au roman, les Berbères, toutes les minorités du monde (cependant elle inclut également l'Islam des premiers temps et de l'apogée—située de façon significative à Cordoue, et non pas Bagdad, capitale des Abbassides et centre de l'âge d'or de l'Islam). Si ces romans semblent suggérer que l'Islam n'est pas plus authentique au Maroc que la culture française, il est hâtif d'y voir un rejet total de l'Islam et de toute civilisation. Si Chraïbi peint un peuple berbère défavorisé de par sa condition de minorité, opprimé par les vagues de civilisations qui se succédèrent au Maghreb, et qui seul a su rester proche de la nature, quel est le rôle des citations et allusions coraniques qui jalonnent La Mère du printemps et Naissance à l'aube! Certaines citations ou références à certaines sourates reviennent dans L'Homme du Livre*, où il n'est nullement question des Berbères. Un hadith célèbre du Prophète: "l'Islam redeviendra l'étranger qu'il a commencé par être" constitue l'épigraphe de La Mère du printemps et VOL. XXXVIII, NO. 1 57 L'Esprit Créateur conclut L'Homme du Livre. Ce hadith revient sous forme d'allusions dans la bouche de Raho qui insinue que les Arabes sont redevenus étrangers au Maghreb (Mère 42), et de Tariq dans le contexte des Musulmans en Andalousie (Naissance 131). Ce réseau tissé par les citations ou l'utilisation d'expressions similaires inclut le scripteur et l'auteur. Azwaw le païen reprend les paroles du scripteur de l'Avertissement, tous deux ont la folie de la lumière et de l'eau de leur pays (Mère 11, 139). Malgré les divergences dans les rapports que chaque personnage entretient avec l'Islam, un trait d'union est tracé entre eux par le choix des versets coraniques qu'ils citent, et les libertés qu'ils prennent en les interprétant. Ceci a pour effet d'estomper leurs différences. L'intertexte islamique des romans précités est composé de citations et d'allusions au Coran ou à la tradition du Prophète (hadiths). Ibn Arabi (ou Ibn Al-'Arabî, 1165-1240) est le seul écrivain mentionné (dans L'Homme du Livre) et mérite donc une attention toute particulière. Le narrateur calque parfois le Coran, par exemple la phrase "et partout, par flots, les hommes entraient dans la religion de Dieu" (Mère 147) est une traduction d'un verset du Coran (CX: 2), mais elle n'est mise en relief ni au moyen d'italiques ni de guillemets. En incorporant ce verset dans le récit, la...

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