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Prosopopée pour une marge défunte Marc Blanchard Gide: "Victor Hugo, hélas!" VOICI BIENTÔT TROIS DÉCADES que le concept de marge fait fortune dans une tradition qui se veut récente. Plus un concetto qu'un concept, d'ailleurs, comme l'illustre Marges de la philosophie (1972), l'ouvrage sans fondement de Derrida: quelque chose qu'on dit comme une bravoure, parce que l'on sait qu'en la disant et l'écrivant, on propose non seulement une nouveauté, mais une impossibilit é. Comment dire la marge comme limite du centre en même temps que centre d'un regard et d'un sujet décentrés? Commençant son Discours , Descartes se défend de parler localement, de son poêle, puisque le propos qu'il développe est pour effacer tous les doutes et déjouer tous les démons qui encombrent sa pensée. Le fait que dans tout discours ancien ou moderne la considération d'un au-delà , même proche, est constitutif d'un ici, personnel, temporel et locatif, l'indéfinissable déictique des linguistes , est connu comme la marque de renonciation dans le discours. Les lieux de la différence, qu'on préfère aujourd'hui exclusivement contemporaine et géographique, par une nouvelle préciosité anglo-saxonne {diasporas, positionalités), qui rappelle celle, toute française, de la Carte du Tendre, ont une longue histoire rhétorique. Dans les Pontiques, Ovide déplore les bords froids de la Mer Noire, voisins des Scythes, loin du Forum. Ces mêmes bords, Racine les chante par la voix plaintive de Phèdre: "Ariane, ma sœur de quelle amour blessée/Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée?" Banni pour une offense qu'il ignore peut-être lui-même, interdit de lecture dans tout l'empire, Ovide, dont le renom est au contraire grandi par l'exil, imagine les délices d'une cour toute en flatteries pour OctaveAuguste , mais ses soupirs donnent au monde qu'il habite inconsolable (les Pontiques sont repris par les Tristes), l'esprit {spiritus) d'un univers impossible à diviser: il est à Rome parce qu'il n'y est plus; il est à Tomis parce qu'il y est. Les deux lieux sont inséparables. La marge, qui a toujours infecté les textes (des manuscrits aux incunables, aux vis-à -vis et montages du Surréalisme, des peintures baroques, où la couleur trompe l'œil avec des bords sans fond, à Duchamp, où le verre fêlé mais non brisé par les hasards d'un transport tient encore ensemble les deux parties 4 Spring 1998 Blanchard d'un récit [Etant donnés]), est visuelle. La part lyrique des textes, au sens où, dès le Haut Moyen-Age on commence à distinguer des voix individuelles dans la chorale des répons et des motets, mais où le chant résonne, puisque, à moins d'être étouffée, la voix s'entend toujours en plus de la lyre qui l'accompagne, la voix, elle, est d'abord sonore, auditive. Et c'est peut-être le comble de l'ironie déconstructive qu'une voix, dont on critique les présupposés chez Rousseau et Heidegger, parce qu'elle n'existe qu'en fonction d'un écrit que, par une virevolte, un truc rhétorique réduisant le timbre physique à une idée mentale, on fait dépendre d'un concept purement philosophique (la φονη) et insonore qui l'anticiperait (la métaphore, mère du langage chez Rousseau, Grund du discours heideggerien), cette voix disparaît du répertoire Le truc, c'est finalement la prosopopée, qui utilise la voix des autres à votre place et vous donne toute liberté de leur dénier l'autorité que, nonobstant toutes vos mitigations, vous vous arrogez à vous-même (Derrida, qui privilégie le Discours sur l'origine des langues, œuvre oubliée dans la bibliothèque de l'ENS, qu'il restaure ainsi au corpus d'un Rousseau philosophe, n'a que faire de la fameuse "prosopopée de Fabricius" qui centre le Discours sur les sciences et ¡es arts) "Ô Fabricius! Qu'eût pensé votre grande...

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