In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Repli sur la République: la nouvelle donne des intellectuels français Jean-Philippe Mathy Ce qui pourrait bien mourir sous nos yeux, c'est ce qu'a été la politique depuis l'âge des Lumières: le prolongement de la philosophie par d'autres moyens. —Régis Debray L'ÉVOLUTION RÉCENTE du champ de la pensée française au cours des vingt dernières années (éclipse du marxisme, du structuralisme et des "philosophies de la révolte", recul de l'historicisme et du constructivisme en sciences humaines), a fait couler beaucoup d'encre et alimenté plus d'une polémique. Les partisans des nouvelles épistémologies en vigueur ont célébré toute une série de "retours" de problématiques, de références théoriques et de méthodologies longtemps consignées aux marges de l'espace intellectuel français, dominé depuis la fin des années cinquante dans ses manifestations les plus visibles, notamment à l'étranger, par l'alliance des philosophies du soupçon. Il est indéniable que la résurgence de traditions oubliées ou déconsidérées, humanisme, kantisme, pragmatisme, positivisme logique, sur le devant de la scène critique, a été le signe d'un ébranlement durable des certitudes intellectuelles qui ont marqué l'âge d'or de l'existentalisme , puis du structuralisme. L'intérêt marqué pour les penseurs anglo-saxons, de Rawls à Rorty, a été salué par beaucoup comme le symptôme d'une ouverture de la pensée française à son autre, comme la fin des interminables débats "franco-français" sur le désir et la différence. Parmi tous ces retours, du sujet philosophique, de l'agent historique, de la conscience individuelle, de la pratique sociale ou des droits de l'homme, celui du "libéralisme" a eu un effet profond sur l'évolution de la pensée française contemporaine.1 En 1989, Régis Debray qui, comme chacun sait, a le sens de la formule, a résumé ce qu'il percevait comme une évolution profonde de la société et de la culture françaises: " 'Etat de droit' fait chic, 'peuple souverain' ringard... Sous le nom de 'socialisme', les descendants du parti républicain prônent et pratiquent la Démocratie libérale, Michelet a accouché de Tocqueville".2 VOL. XXXVII, NO. 2 41 L'Esprit Créateur Pendant la décennie quatre-vingt, les intellectuels français et leurs lecteurs redécouvrirent les charmes de "l'individualisme démocratique". L'histoire de cette révélation est bien connue, et je n'en rappellerai que les repères les plus saillants. Les analyses anthropologiques de Louis Dumont sur le holisme et l'individualisme, les travaux historiques de François Furet attestant que la Révolution française, à la veille de son bicentenaire, était enfin terminée, les essais de Gilles Lipovetsky sur les nouvelles données sociologiques du consumérisme postmoderne constituent autant d'étapes marquantes d'une profonde remise en cause des fondements philosophiques et des représentations politiques de la culture républicaine issue de la Révolution. De fait, toutes ces analyses convergentes puisaient leur inspiration dans une lecture tocquevillienne de la modernité, qui trouvait dans l'œuvre de l'auteur de L'Ancien Régime et la Révolution ample matière à remettre en cause la version française de l'aventure démocratique.3 A courant de pensée nouveau, revue nouvelle: il y a là comme une loi structurelle du champ intellectuel. Fondé en 1980, date doublement symbolique , orée d'une nouvelle décennie et année de la mort de Sartre, Le Débat regroupa autour de Pierre Nora une génération nouvelle de professeurs , de chercheurs et d'écrivains bien décidés à en finir avec le prophétisme intellectuel à la française et les séquelles de "la pensée 68". "Que peuvent les intellectuels?" demandait Nora dans le premier numéro. Réponse: démocratiser l'exercice de leur propre pouvoir.4 La notoriété dont bénéficièrent les représentants les plus éminents de ces nouveaux courants, en raison de leur position...

pdf

Share