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La passion de l'éphémère: Les Goneourt de la mode Pierre Saint-Amand Les civilisations ne sont pas seulement une transformation des croyances, des habitudes, de l'esprit des peuples; elles sont une transformation des habitudes du corps. —Edmond et Jules de Goneourt, Journal ' LE DIX-HUITIÈME fascine le dix-neuvième. Baudelaire, Zola contribueront à constituer une autre image du siècle des Lumières: voluptueuse et artificielle. Mais nul autre mieux que les frères Goneourt ne parviendront à immortaliser ce "temps"2 dans ses mœurs et dans le détail de ses productions artistiques. Ils auront fait état de ce qu'ils appellent ses "modes morales" et ses "modes matérielles" (46). Ils inventent en tout cas le rococo. Ce mot va résumer sous leur plume le tempérament créateur du siècle, l'énergie nerveuse de ses passions matérielles. La mode fait partie d'une de ces passions qui retient l'attention de nos deux historiens. C'est sans doute, selon eux, par elle que le XVIIIe siècle inaugure le mieux "l'âge moderne" (45). Ils vont poursuivre son évolution pendant tout le siècle, dans un délire d'exhaustivité qui sera la signature de leur propre obsession.3 Quand Baudelaire voudra évoquer le XVIIIe siècle, ce sont les pages des Goneourt qui lui fourniront le premier parfum de nostalgie. Dans les "Notes sur le XVIIIe siècle", inspirées en partie par la lecture de La Femme au XVIIIe siècle, c'est tout l'univers du costume qu'il convoque: des coiffures et du maquillage, des fichus au port du rouge et du panier. Baudelaire passe en revue les tableaux qui offrent le meilleur souvenir du siècle: L'Hiver de Lancret, La Toilette de Beaudouin, Les Prospérités du balde Troy; bref, le même musée galant que nous propose les Goneourt.4 L'ère du temps—Ce que les Goneourt célèbrent dans la mode, c'est le triomphe de l'ostentation, les signes les plus éloquents du paraître, la célébration totale de l'artifice. Ainsi, dans la toilette de la femme du XVIIIe siècle, ils relatent le succès du rouge, signe par excellence de la "vie factice" (Baudelaire, 257). Le rouge est l'objet par excellence de consommation, celui sans lequel le visage n'atteint pas aux dimensions de VOL. XXXVII, No. 1 21 L Έ SPRIT C RÉATEUR l'art. Un certain chevalier d'Elbée évalue ainsi la consommation mondaine de rouge, à "plus de deux millions de pots la vente annuelle" (ibid., 257). Cependant, le rouge ne suffit pas; il faut parfaire l'artifice, effacer le naturel du visage. Voici le règne des mouches: C'était le dernier mot de la toilette de chercher, de trouver la place à ces grains de beauté d'application, taillés en coeur, en lune, en comète, en croissant, en navette. Et quelle attention à jeter joliment ces amorces d'amour. . . , la badine, la baiseuse, Véquivoque, à poser, selon les règles, l'assassine au coin de l'œil, la majestueuse sur le front, Venjouée dans le pli que fait le rire, la galante au milieu de la joue, et la coquette . . . auprès des lèvres! (258) Ce que Jean Baudrillard appelle "une métaphysique radicale des apparences "5 et dont le maquillage est la première vérification conviendrait bien à la vision des Goneourt. Par le rouge et les mouches, ils assistent à la transfiguration du visage par l'éclat de l'artifice.6 Quand, à la fin du siècle, les femmes abandonnent le maquillage excessif pour une pratique cosmétique plus dépouillée, pour la "nature" et Γ "émotion", celles-ci n'en restent pas moins simulées. Le visage reste artificialisé dans une variété de masques de sentiments. En tout cas, la mode est à la pâleur et à la simplicité. La femme se transforme de nouveau, "mettant autour de ses traits la douleur d'un nuage, sur son teint la transparence d'un reflet" {Femme, 259). Cependant, comme avec le rouge, il s'agit de la même stratégie ludique: livrer...

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