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Martinique, charmeuse de serpents: "Changer la vue" sous les Tropiques Mireille Rosello QU'ONT-ILS VU À LA MARTINIQUE? Qu'est-ce qu'André Breton et André Masson ont été capables de produire, de construire et de nous montrer, à l'issue de leur brève rencontre avec une île et ses habitants? Si la question de ce que le surréalisme a ou n'a pas apporté à la négritude est un sujet plus ou moins épuisé, on se demande peut-être plus rarement quelle a été l'influence de la Martinique et des Martiniquais sur le surréalisme. Qu'en est-il, par exemple, du rapport entre surréalisme et exotisme? Comment l'écriture de Breton, qui aspirait toujours, comme l'écrit Jacqueline Chénieux-Gendron à un "télescopage" de "l'ordre éthique, [de] l'ordre esthétique, [et de] l'ordre épistémologique" ' pouvait-elle penser Tailleurs et s'assurer que son anticolonialisme ne soit pas trahi par une vision esthétique où risquait de traîner un orientalisme de bazar courant à l'époque? Dès 1931, le surréalisme avait à grands cris refusé de visiter l'Exposition Coloniale et n'allait cesser de soutenir toutes les voix qui se sont élevées contre l'impérialisme colonial de la France, y compris bien sûr celle d'Aimé Césaire qui, en 1941, avait déjà publié une version de Cahier d'un retour au pays natal, et avait co-fondé la revue Tropiques. D'un côté, les tracts surréalistes sont on ne peut plus faciles à interpréter; d'un autre côté, lorsqu'il ne s'agit plus de manifeste, de quelle langue le surr éalisme s'est-il servi pour parler des Caraïbes? Il fallait s'attendre à ce que le surréalisme, comme toutes les autres formes de pensée contemporaines , éprouve de réelles difficultés à parler de l'autre, de l'ailleurs, autrement que grâce à des codes littéraires alors dominants (le "doudouisme", l'exotisme et l'orientalisme). Breton rencontre l'île en 1941, au moment où il est sans doute le moins possible de célébrer une beauté tropicale soi-disant naturelle que l'on pourrait simplistement opposer au bruit et à la fureur de l'Europe éventrée par la guerre. Pourtant, la tentation est grande. Les biographes nous apprennent que l'arrivée de Breton en Martinique est précédée par deux voyages en des terres qui sont implicitement codées et amalgamées comme exotiques ou tropicales: l'un aux îles Canaries en 1935, et un autre séjour plus long au Mexique d'où date la rencontre avec Diego 64 Winter 1996 Rosello Rivera, Frida Kahlo et Leon Trotsky. Ces deux visites ne séparent pas le politique de la poésie mais les rencontres qui ont lieu alors sont motivées par des intérêts culturels dont le conflit mondial allait brutalement exacerber la gravité. En effet, le passage de Breton à la Martinique est placé sous le signe de l'exil et de la contrainte, de l'enfermement et de la surveillance. En avril 41, lorsque Breton se trouve à bord du Capitaine Paul-Lemerle en direction de la Martinique, la France est occupée et il est en fuite. Il a déjà été inquiété, à Marseille par le gouvernement de Vichy qui lui cherche des noises au moment d'une visite de Pétain dans le Midi, et il ne doit son départ qu'aux efforts de ce que Daniel Bénédite a appelé la "filière Marseillaise", c'est-à -dire à l'équipe de VarÃ-an Fry qui s'emploie à aider toutes sortes de personnalités en danger à quitter la France. On sait que Lévi-Strauss a fait la traversée en même temps que Breton sur cette "boîte de sardines sur laquelle on aurait collé un mégot"2 et que Tristes Tropiques en garde la mémoire.3 On sait aussi que le peintre André Masson a suivi de peu le départ de Breton et qu'il est arrivé à la Martinique une semaine après sur un autre vieux rafiot, le Carimare...

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