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Du corps de Douve Edouard Glissant LORSQUE PARUT Du mouvement et de l'immobilité de Douve, nous étions un assez grand nombre de poètes, de la même génération , à quatre ou cinq années près, qui nous intéressions à un élargissement de la parole poétique, soit sur les horizons du monde, je parle par exemple pour Kateb Yacine, soit dans les souffles du verset, considéré comme une mesure du souffle humain, ainsi que l'avaient tour à tour enseigné Segalen, Claudel et Saint-John Perse. C'est peut-être une petite contribution à l'histoire littéraire de cette période que d'indiquer comment ce groupe de poètes que rien en effet ne "réunissait", ni école ni théorie ni manifeste, a réagi à Douve. Parmi eux, Jacques Charpier, dont un poème, Connaissez-vous l'Ecolière, était populaire parmi nous, Jean Laude qui devait devenir un spécialiste minutieux de l'histoire des Arts africains, Roger Giroux dont le premier livre de poésie, L'Arbre le temps, serait plus tard publié aux mêmes éditions du Mercure de France où paraissait Douve. En quelque sorte, des poètes interpellés par l'Histoire, soit qu'ils en eussent souffert les avatars (Yacine), soit qu'ils en méditent les significations contradictoires (Laude, Charpier). Ou alors, s'agissant de Roger Giroux ou de Paul Mayer, convaincus de la même passion du rhétorique, au sens noble de la chose, qui était à l'opposé de cette absence, de cette rareté du mot dans la page qui commençaient de consumer l'expression poétique en France. Douve nous apparut si lointaine et si irremplaçable. D'abord par sa dialectique, n'ayons pas peur du mot. Le poète nous y conviait, citant Hegel en exergue à son texte. Mais la vie de l'esprit ne s'effraie point devant la mort et n'est pas celle qui s'en garde pure. Elle est la vie qui la supporte et se maintient en elle. La citation, qui ne pouvait que convenir aux hégéliens que pour la plupart nous étions, incitait pourtant à une première, même si fugitive, équivoque. Il devenait facile de concevoir le mouvement comme vie et de confondre l'immobilité dans la mort. Le texte du poème nous exortait aussitôt à nous éloigner d'une aussi pauvre mécanique. Douve nous apparut comme le premier texte d'un poète de notre 80 Fall 1996 Glissant génération qui affirmait sans affirmer que la poésie est connaissance, même si cette connaissance passe par ce que Bonnefoy appellera plus tard l'improbable. Je crois que ce fut aussi le premier livre de poésie que nous ayons élu comme à la fois total et si peu totalitaire, et il nous fut évident que le corps de Douve, objet de poésie, obscur et illuminé, divisé et sans cesse recomposé s'y révélait un et transfiguré par la multiplicité qui le traversait. Parcourant le poème, on ne pouvait que revenir sans cesse à cette multiplicité fracassée du corps de Douve. Je dis bien le corps, car Douve, qui promet la connaissance, ne s'offrait pas sous les auspices d'un pur evanescent. Elle est écartelée secrète connaissance, et qui se rompt, ce sont là des citations du poème, qui voit ses yeux se corrompre, qui est inondée "de têtes froides à bec, à mandibule." Une telle distribution du corps de Douve inclinait à réfléchir qu'elle s'étendait dans la terre avec une impatience terrible. Je revenais au texte et je voyais se tramer au fur et à mesure l'image de cette étendue, de cette extension qui était comme une exploration de soi et de ce qui est hors de soi. Pour en recomposer un des axes, non, une des directions, parmi tant d'autres, je voyais passer, disons que je repérais, la houille, terre incendi ée dont le cadavre porte et supporte la vie, le sable, dont la mobilité est à jamais fixe, la toile d'araignée, qui est comme du sable qui prend forme, le lierre...

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