In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Ut pictura poesis Yves Bonnefoy I. MESDAMES, MESSIEURS, MES AMIS, c'est un fait que j'ai consacré beaucoup de temps, dans ma vie, à la pratique de l'écriture poétique et à cette réflexion sur la poésie qui en est dans ce siècle la conséquence quasi fatale. Mais, vous le savez, ce n'est pas pour autant que je me suis désintéressé de la peinture. Sur celle-ci, j'ai fixé mes yeux depuis l'enfance: sur la peinture ou plutôt, dans ces années-là , sur des images, car, j'ai à le souligner tout d'abord, il est utile d'apprendre à distinguer entre, d'une part, le tableau, qui est une exp érience du dessin et de la couleur—souvent fondamentale et en tout cas toujours importante et déterminante—et d'autre part l'image, où c'est le rêve d'un monde qui prend le pas sur tout autre souci dans l'agencement des figures. A quoi j'ajouterai que d'authentiques images peuvent être aussi, involontairement, de bien beaux tableaux; et que de vrais et même de grands, de très grands chefs-d'œuvre de la peinture peuvent être perçus, par un enfant, comme d'abord ou seulement des images. Images furent ainsi pour moi, quand j'avais huit ans, ou dix ans, et même plus tard, les chromos accrochés aux cloisons de l'appartement familial, mais tout autant sinon plus encore tel tableau d'Ingres, Y Apothéose d'Homère, qui s'était égaré, en reproduction un peu platement coloriée, chez mes grands-parents, ou l'Empire de Flore ou la Bacchanale des Andrians ou des Veronese, aperçus, eux, dans un petit manuel de mythologie. Et ce n'aura été qu'assez tard que le départ se fit clairement pour moi entre ces deux pôles de la sollicitation du regard. Quand, à 18 ans, je fus attiré, requis même, par quelques œuvres surr éalistes—les collages de Max Ernst, la Boule suspendue et l'Objet invisible de Giacometti, quelques Miró du début, c'est évidemment parce que je vivais toujours dans le pays des images, malgré un début de reconnaissance parmi les faits propres de la peinture, en particulier les tableaux cubistes ou puristes, découverts par accident dans des cahiers dépareillés de L'Esprit nouveau. Et ce ne fut qu'à l'occasion d'un voyage en Italie, longtemps plus tard, que je pris vraiment conscience, sinon du fait pictural, du moins de son ampleur, de ses ressources à l'infini, je Vol. XXXVI, No. 3 9 L'Esprit Créateur dirai même de son mystère. Au retour le Louvre était autre. Après quoi peinture et image ensemble ne cessèrent de m'occuper. J'attache toujours grand prix à ce qui, dans le travail d'un artiste, s'en détache pour rêver, bien au dehors de la toile, et nous proposer, un monde où l'on pourrait vivre, d'une autre façon qu'ici, avec plus de lumière, plus de musique. En somme, un ut imago poesis est à l'origine de mon souci présent de Vut pictura poesis. Et ce double intérêt aura même été, au moins jusqu'à présent, aussi absorbant et durable qu'il est ancien dans ma vie, puisque, si je considère aujourd'hui ce que j'ai écrit en dehors de la poésie proprement dite, vers ou prose, je vois que la réflexion sur les peintres, sur les sculpteurs et sur l'art en général a pris autant de place que la considération des poètes et le questionnement du fait poétique. Sans l'avoir ni vraiment voulu ni même prévu, j'en suis venu ainsi à mettre en avant, dans ma compréhension de la poésie, sa relation avec la peinture. D'où, au total, de quoi me préoccuper , du point de vue de la vérité, à laquelle nos intérêts, nos poursuites ne sont pas nécessairement fidèles. En d'autres mots: ce rapprochement que...

pdf

Share