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Le Déambulatoire. Entretien avec Nathalie Sarraute Monique Wittig Monique Wittig: Nathalie Sarraute, c'est une grande joie pour moi de vous retrouver une fois de plus à Chérence cette année. Je sais à quel point vous aimez Chérence où vous venez depuis 1949. Nathalie Sarraute: Oui, j'aime passionnément cette maison et son jardin. C'est une petite maison qui ne paie pas de mine. Elle date, comme le Prieuré, de la fin du seizième. C'est ce qu'on appelait une masure, le lieu où habitaient ceux qui travaillaient pour le Prieuré. Et j'ai essayé de garder son style. Raymond, mon mari, et moi nous y passions cinq mois par an. Monique Wittig: C'est ici que vous travaillez. Nathalie Sarraute: J'ai toujours écrit ici, en partie, la plupart de mes livres depuis Martereau. Il me semble que j'ai pris racine à Chérence où j'ai déjà ma place au cimetière auprès de Raymond. Monique Wittig: Et cependant vous êtes une grande voyageuse? Nathalie Sarraute: Oui, j'ai beaucoup voyagé, non pas tant en tant que touriste mais parce qu'on m'invitait dans les universités étrangères pour y donner des conférences. Je parlais sur le langage dans l'art du roman, sur la forme et le contenu dans le roman, sur le roman et la réalité. Plus tard je me suis bornée à répondre aux questions qu'on me posait, ce qui me paraissait plus intéressant et plus vivant. J'ai toujours trouvé plus intéressant d'aller à l'étranger pour avoir des contacts avec les étudiants et de m'intégrer ainsi davantage dans le pays. C'est ainsi que je suis allée de très nombreuses fois aux Etats-Unis, dans toute l'Amérique latine (au Mexique, en Bolivie, au Pérou, en Argentine, en Uruguay, au Chili, au Brésil). Je suis allée évidemment à peu près dans tous les pays d'Europe. Et aussi en Israël et en Egypte (où j'ai été invitée par l'Université américaine du Caire); et puis en Inde et au Japon. Vol. XXXVI, No. 2 3 L'Esprit Créateur Monique Wittig: Vous avez commencé à écrire Tropisme en 1932? Nathalie Sarraute: Oui. Jusque-là je n'avais trouvé aucune forme qui puisse m'intéresser pour rendre ce que je ressentais. Quand j'ai commenc é à écrire, les formes romanesques qui existaient ne me permettaient pas de mettre au jour ces mouvements intérieurs insaisissables. Ces mouvements ne pouvaient pas s'accommoder des formes préexistantes. Quand j'ai écrit mon premier Tropisme, j'ai essayé de rendre une sensation , un mouvement intérieur dont le personnage, si l'on peut dire, n'était que le simple support, à peine visible. Monique Wittig: Comment êtes-vous passée de là à une forme plus romanesque, comme Le Portrait d'un inconnu! Nathalie Sarraute: Ces tropismes étaient très très difficiles à trouver. J'ai eu l'idée de prendre un personnage, ou plutôt un je qui chercherait à découvrir ces tropismes à travers une forme très conventionnelle, celle d'Eugénie Grandet. Il s'agit d'un père avare et de sa fille. Ceje cherchait à découvrir des tropismes à travers l'apparence de ces personnages. A la fin, ce qu'il percevait devenait si complexe qu'il a été vaincu, il a lâché prise, et à ce moment-là un personnage du roman traditionnel a pris possession de ce livre, et tout est retombé dans un univers déjà mort. Dans le livre suivant, Martereau, je partais au contraire de ce même personnage de roman traditionnel—il s'appelait Martereau, il avait une raison sociale, un aspect physique—et j'essayais de le désintégrer et de l'animer de tropismes ainsi que tous ceux qui l'entourent. Puis j'ai abandonné le je dans le livre qui s'appelle Le Planétarium. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un univers factice, une imitation du vrai ciel. Chacun voyait les autres comme des personnages qui se donnaient des noms comme nous...

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