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Reviewed by:
  • Perec, Modiano, Raczymow, la génération d’après et la mémoire de la Shoah
  • Kathleen Gyssels
Annelise Schulte Nordholt. Perec, Modiano, Raczymow, la génération d’après et la mémoire de la Shoah. New York/Amsterdam: Rodopi, 2008. Pp. 335.

Dans Perec, Modiano, Raczymow, la génération d’après et la mémoire de la Shoah, Annelise Schulte Nordholt nous présente trois auteurs de la post-Shoah qui posent au centre le travail de la mémoire. Son choix de corpus surprend dans la mesure où les travaux sur Perec sont abondants, et que Modiano, qui eut un père juif, est rarement intégré au canon de la Shoah. Henri Raczymow est le moins connu ; aussi le premier mérite de cet ouvrage est d’introduire enfin des noms quelque peu excentrés de la littérature du témoignage, trop longtemps réduite, du moins en France et dans les études francophones, à un trio d’auteurs (Wiesel, Levi, Semprun). Pareil exercice comparatif s’imagine aisément selon d’autres choix, par exemple les témoignages de femmes, par ailleurs plus rares. Que ce soit des auteures juives, Anna Langfus, Sarah Kofman (qui figure étonnamment dans la bibliographie secondaire sur Modiano) ou non juives, Charlotte Delbo, Régine Robin, Nancy Huston, pour ne donner que ces exemples, des corpus mixtes au double sens du terme, brillent par leur absence dans les études de la diaspora ou plus spécifiquement encore, dans les études juives. Quid aussi d’auteurs juifs polonais d’expression française, toute nationalité confondue, tels que André Schwarz-Bart, Roger Ikor, et Adolphe Nysenholc ? Schulte Nordholt pour sa part s’en tient aux auteurs qui sont nés pendant ou après la Seconde Guerre Mondiale, d’où l’appellation « génération d’après », et sans qu’ils soient nécessairement d’origine juive (Modiano). Dans deux parties, « Témoignage et fiction », et « Écrire le lieu », l’auteure se sert de notions empruntées à Dominick LaCapra (mémoire primaire vs secondaire), à Marianne Hirsch (postmemory), à Bernard Magné (aencrage). Des concepts tels qu’ « hypermnésie » de Perec ou la « mémoire trouée » de Raczymow viennent étayer son soubassement théorique pour l’analyse en profondeur les fictions de Modiano, Perec, et Raczymow. Tous posent avec acuité la question du « témoin » qui, à partir de « traces » met de l’ordre dans le désordre de souvenirs, se propose de recoudre un tissu d’impressions et de réflexions décousu, et recomposent en même une judéité qui leur est transmise comme un héritage à la fois décomposé et composite. L’analyse fine montre le tribut payé à Proust chez les trois auteurs, davantage explicitée il me semble chez Raczymow, ainsi que l’étonnante analogie quant à l’inscription et l’élaboration du témoignage de trois auteurs qui se sentent comme illégitimes témoins, n’étant pas là quand cela s’est passé. L’ombre de Proust régnant sur les trois auteurs, l’analyse démontre comment les auteurs pratiquent une « poétique du vide », d’un côté, et une écriture hyperréaliste, de l’autre : dans la reconstruction et la « revisitation » de son propre passé, et à travers lui, de celui, « celé », secret, refoulé des siens (entourage immédiat, famille, quartier), les auteurs ont représenté l’espace et l’emprise du temps dans Un homme qui dort, W ou le souvenir d’enfance, Un cri sans voix, Rivières d’exil ou La Place de l’étoile, Dora Bruder (allemand pour « frère »). Non seulement l’espace y est surdéterminé par le passé sordide et les atrocités de la guerre qui s’y sont déroulées sous l’Occupation, mais l’urgence du temps qui risque d’effacer les faits et les témoignages s’y traduisent de manière originale.

L’essai comparatif ouvre donc sur des voies et des voix moins connues, notamment celle d’Henri Raczymow qui, contrairement aux deux autres, perfore son œuvre de l’oralité juive (Contes de l’exil et d’oubli) et nous plonge dans sa Pologne ancestrale. De...

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