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  • Lois de l’aveugle: Notes sur La Folie du Jour
  • Julien Zanetta

“’Tis the times’ plague, when madmen lead the blind”1

—Shakespeare

Partir d’un texte donc, un « récit » plutôt, nié et affirmé. Avant que les titres ne s’affolent de tous côtés. La Folie du Jour, de Maurice Blanchot, s’avance tout d’abord comme une relation en boucle, une expérience se mouvant d’un pas irrégulier, chancelant au gré de ses perceptions. Si cette démarche semble hésitante, ce qui la guide ne l’est pas moins ; les sens s’y troublent, deviennent indistincts dans leur acuité. La vue, en tête, se prête aux plus grands écarts, du plus profond regard à l’ombre la plus vive, du jour – lumière et durée – à l’aveuglement. C’est elle que nous allons tâcher de suivre et, la tenant à distance, relever son mouvement dans la brièveté de ses lignes. Décrivant, en premier lieu, un cercle autour du « je » par le foyer des regards qu’il attire. Puis, dans un second temps, ce que lui-même peut envisager de voir à travers ses épreuves. Enfin, après une coupe qui le rend à l’obscurité, ce qu’il ne peut plus voir, ce qu’il nous laisse voir dans l’incessant entrelacs de ses paradoxes et comment le langage en porte l’écho, jusqu’au silence. Nous verrons alors apparaître le vacillement de la lumière comme une autre présence de la loi, poursuivant son seul sujet – ce « je » aussi aveugle que son langage. Au miroir du « récit » de Blanchot, une autre expérience – celle de Franz Kafka – viendra contraster de ses observations le dialogue entre les lueurs de la Loi et celles du langage. Notre propos se tramera dans le trajet allant de [End Page 1127] l’un à l’autre, retraçant une vue portée à son déclin, témoignant à tâtons de sa chute.

Peut-être faudrait-il commencer, par-delà sa durée, à s’intéresser à ce qui se voit sous le jour de la folie. Ou plutôt à ce qui est vu, afin de mesurer les effets d’un obscurcissement se retournant sans cesse. La tournure passive de la vue constitue une première étape « situante » au sein de La Folie du Jour. En effet, le sujet, « narrateur » (pour autant qu’on puisse lui appliquer ce terme) à la première personne d’un « récit », est l’objet à plusieurs reprises de l’attention d’autres, de tiers. Compte tenu de la logique paradoxale qui mène ce récit à son involution – logique à laquelle nous reviendrons ultérieurement, cerner l’entour d’un je qui se dérobe en se contredisant peut être une meilleure piste. Avant donc d’observer l’aimant même, l’encercler des regards le constituant, délimiter son espace propre si malléable.

Le regard de l’autre est avant tout celui de l’autorité, de la loi dessinant un périmètre restreint autour du sujet qu’elle tient sous sa chape, mais qu’il toise à son tour. Loi kafkaïenne, nous y reviendrons, sans source ni verdict. Loi inévitable – outre son genre, comme le montra Jacques Derrida – dans le chemin vers un jour instillant sa folie à ceux qu’il touche. Que l’on prenne les médecins qui sont, de prime abord, ceux dont la vue, tenue par leur profession (l’un d’eux en est d’ailleurs le « technicien »2), se fait la plus évidente par son incursion, la plus étrange par son omniprésence au sein du « récit » : « Sous leurs yeux en rien étonnés, je devenais une goutte d’eau, une tache d’encre. Je me réduisais à eux-mêmes, je passais tout entier sous leur vue, et quand enfin . . . n’ayant plus rien à voir, ils cessaient aussi de me voir » (Blanchot FJ 28–29). Possession de ce qui leur est donné par un sujet se pliant à leur demande. Si bien que celui-ci en vient à se vider de sa substance comme de sa volonté en regard de leur subite multiplication : « Mais, étant deux, à cause de cela ils étaient...

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