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Reviewed by:
  • The Violence of Modernity: Baudelaire, Irony, and the Politics of Form
  • Éric Trudel
Debarati Sanyal. The Violence of Modernity: Baudelaire, Irony, and the Politics of Form. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 2006. ix + 276 pp.

On sait comment Walter Benjamin, dans un texte désormais célèbre consacré au poète des Fleurs du mal, faisait de “l’expérience éminement moderne du choc [. . .] la norme de la poésie baudelairienne,” et affirmait repérer la violente blessure infligée par la modernité urbaine jusque dans le rythme des vers, dans le corps même du texte poétique. Ainsi Baudelaire devenaitil, à partir de Benjamin, le poète exemplaire d’une expérience historique mélancolique, désarticulée, poussant la poésie à se retirer frileusement en elle-même, et inaugurait une rupture: celle d’une double crise du sens et de la représentation. La lecture de Debarati Sanyal—dont la magistrale mise en contexte, présentée en introduction, vaudrait à elle seule largement le détour—a [End Page 139] d’abord l’immense mérite de repartir de ces thèses incontournables, mais en souhaitant en infléchir la portée théorique, afin d’insister sur les possibilités critiques d’opposition et de résistance offertes par le texte littéraire, et du coup comprendre ce que la littérature peut nous dire de la violence de l’histoire.

En effet, et comme le rappelle l’auteure, les relectures critiques de l’héritage benjaminien au cours des dernières décennies ont eu tendance à négliger cette vitalité critique du texte littéraire pour privilégier une approche de la modernité en tant que “crise,” et faire du traumatisme le principal sinon l’unique paradigme de lecture. Dans une telle perspective “traumatophile,” la littérature obéit à l’impossible d’un impératif éthique contradictoire, et devient le témoin obligé d’une terreur qui pourtant la réduit au silence. À moins de faire du traumatisme, de manière encore plus radicale, celui du langage même, condamnant ce dernier à un vertigineux indécidable et le coupant de toute référentialité (qu’on pense au travail de Paul de Man, dont Sanyal réexamine les propositions dans le plus grand détail). Dans un cas comme dans l’autre, la littérature, en deuil, minée par l’ambiguïté et écrasée, comme le disait Georges Perec, par “l’Histoire avec sa grande hache,” semble incapable de la moindre riposte. Or si le texte baudelairien témoigne bien d’une violence historique, il n’en est pas la victime impuissante, et puise au contraire sa force critique de résistance dans l’ironie avec laquelle il la répète souvent, la retourne ou la parodie, dans la manière dont il s’emploie à brouiller, par l’exercice d’une telle contre-violence, les limites entre pouvoir exercé et pouvoir subi, entre bourreau, victime et témoin (il suffit ici de songer à “L’Héautontimorouménos,” dont Sanyal propose une interprétation lumineuse). C’est l’analyse minutieuse de cette ironie à l’œuvre, pensée non comme symptôme mais plutôt comme outil de contestation dévoilant la violence sous toutes ses formes—sociale, économique, sexuelle—qui permet à Sanyal de faire réapparaître, à travers les trois premiers chapitres du livre, les vigoureuses possibilités d’agentivité éthique et politique du poème en prose, mais aussi, de manière plus étonnante, de la “poésie pure,” possibilités occultées trop longtemps, affirme-t-elle, par une conception strictement testimoniale de l’expérience littéraire.

La réflexion théorique de Sanyal, toujours attentivement contextualisée mais jamais limitée à ce seul contexte, ratisse très large. Le propos [End Page 140] est solide, parfaitement original, et d’une richesse considérable, et ce même s’il doit parfois beaucoup au travail conceptuel de critiques tels Barbara Johnson, Sonya Stephens et surtout Richard Terdiman. Mais ce sont les commentaires de texte qui, plus que tout, forcent l’admiration, et les pages qu’elle consacre par exemple à “La corde,” à “Une mort héroïque,” à “Assommons...

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