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  • Chanter sa vie: autobiophonie
  • Tristan Kewe

L’autobiographie, en tant que genre littéraire, a fait l’objet de nom- breuses études, mais peu semble avoir été écrit sur le vers autobiographique chanté, même si un nombre important de chansons sont décrites par leur auteurs (ou la critique) comme étant autobio-graphiques. Choisir d’étudier la chanson (en tant que genre littéraire) génère d’emblée plusieurs questions. En premier lieu: une chanson à texte—dite de qualité (ce qui, nous l’avouons, est un terme appelant un jugement de valeur assez vague)—peut-elle être qualifiée de poème et donc étudiée comme ce genre? Un poème peut-il vraiment être autobiographique—au regard, en particulier, de sa structure qui fait que les épisodes d’une vie doivent être “remodelés,” et donc peutêtre changés pour se conformer à la structure poétique? Ne manquet-il pas une “voix” à la trinité (acceptée) auteur/narrateur/personnage de l’écriture autobiographique lorsque celle-ci est chantée? Cette quatrième entité est, finalement, plutôt que les yeux d’un lecteur “conventionnel,” la voix de l’interprète. Qu’advient-il de l’aspect autobiographique lorsqu’un auditeur s’approprie telle ou telle chanson et la fait sienne? Enfin, le lexème autobiographique est-il le plus approprié pour décrire ce genre particulier qui, si à sa naissance—au moment de l’écriture—il est autobiographique, ne l’est plus au moment de son émission, soit par voie de spectacle, radiodiffusion ou CD?

Il n’est pas rare de trouver des éléments autobiographiques dans la majorité des œuvres des chanteurs de tout temps. Autobiographie est ici entendue au sens large: “texte écrit avec l’intention de dire sa vie dans sa vérité, sur le moment (journal) ou après coup (récit).”1 D’après Jaccomard, autobiographie et poésie peuvent paraître antinomiques.2 [End Page 89] La poésie ne semble pas être la plus apte à rendre la vérité, pour autant que celle-ci existe, puisqu’elle prend des détours imagés ou se laisse aller à l’évocation d’images sublimes. La parole poétique des chanteurs tels que Brassens, Ferré, Brel et Duteil, entre autres, semble parvenir à la vérité parce qu’elle va au-delà du langage ordinaire, ou plutôt du langage que l’on utilise en oubliant ce que les mots signifient. Ils utilisent des mots qui se sont banalisés, des mots simples auxquels ils donnent une vigueur nouvelle. Ils font donc de leur langage le lieu d’une expérience de la vérité où leur public, lecteur ou auditeur, peut se retrouver tant dans la singularité que dans l’ordinaire; le poète en ce cas “universalis[e] l’anecdote humaine.”3 Notion à laquelle Yves Duteil souscrit dans un entretien avec Laurent Boyer lorsqu’il dit: “Les gens se retrouvent dans les images que j’écris, ce qui me plaît, c’est quand les gens s’approprient mes chansons.”4

Souvenons-nous que Lejeune dans son Pacte autobiographique définissait, en 1975, l’autobiographie comme étant en prose,5 mais faisait amende honorable dans son Pacte 2 où il écrivait tout un chapitre intitulé “Autobiographie et poésie,” annonçant que, si en fait l’autobiographie est dans 99% des cas en prose, elle ne l’est pas en droit.6 Il pose plus loin la question: “Pourquoi aimet-on les poèmes, les chansons? Surtout quand ils disent ‘je’?”7 Si, comme le disait Saussure, la langue est le dépôt des images, et l’écriture la forme de ces images,8 ce “je” qui revient si souvent dans l’œuvre des chanteurs prend une importance fondamentale. Rappelons d’abord les conditions générales de l’autobiographie énoncées dans la littérature à ce propos. Nous allons accepter les stipulations posées par Lejeune dans Le pacte autobiographique, telles que la position de l’auteur, du narrateur et du personnage. Rappelons aussi la distinction cruciale qu’établit Lejeune entre le nom “autobiographie” et l’adjectif “autobiographique” qui tend à être utilisé d’une façon...

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