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Roger Bourderon. – La négociation. été 1940 : crise au PCF. Paris, Syllepse, 2001, 253 pages. Préface de Serge Wolikow.

Il y avait donc encore beaucoup à apprendre sur la stratégie légaliste suivie par le PCF pendant l’été 1940. Depuis une vingtaine d’années, pourtant, les contributions universitaires se sont succédé qui permettent d’éclairer cette période comme aucune autre dans l’histoire du mouvement communiste français.

Négociations avec Abetz, réoccupation de mairies dans la banlieue rouge, rupture des négociations puis spirale répressive, analyse de la guerre et évolutions stratégiques : ce n’est pas sur ce terrain, aujourd’hui largement labouré, que Roger Bourderon nous apporte une contribution essentielle. C’est sur la crise que connaît alors le PCF ; sur les mécanismes en œuvre dans la dénonciation puis la mise à l’écart d’un « groupe » , bien dans la tradition bolchevique ; sur la place faite à Jean Catelas, ancien député de la Somme, responsable de la réorganisation du PCF dans la région parisienne à l’été 1940, négociateur, malgré lui, pour la reparution légale de L’Humanité. Mais on a presque peur d’en dire trop, comme s’il s’agissait d’un (bon) roman dont on ne voudrait pas déflorer l’issue et, plus encore, l’organisation du récit. Car il s’agit bien d’une passionnante enquête que nous propose l’auteur, une enquête captivante à laquelle il s’est livrée et qu’il nous présente comme telle. Il y a déjà les protagonistes du drame, qui sont alors les principaux dirigeants du PCF encore présents en France : Duclos, Tréand, Dallidet, Frachon, mais aussi Jean Jérôme ou, héroïne malgré elle, l’agent de liaison de Catelas, Odette Janvier. Tout part de l’interview d’Odette Janvier, recueilli cinquante ans après les faits, dont les interrogations, jamais élucidées, lancent l’enquête. Une réponse est fournie par deux rapports inédits d’Arthur Dallidet, dont la dénonciation d’un « groupe fractionnel » dans lequel Odette Janvier tient une place de choix. Roger Bourderon explore une première piste : le conflit pour le contrôle des cadres, sur fond de désaccord (en fin de compte second) sur la ligne politique. En dédouanant en outre Duclos, proclamé par télégramme secret principal responsable du parti clandestin en France, l’Internationale communiste (IC) ouvre la voie à une sortie de crise à moindre frais. Dallidet s’adapte et fabrique la thèse du « groupe ». Et vient la deuxième piste : derrière Odette Janvier, aux responsabilités limitées, c’est bien Jean Catelas qui est visé, ce qui révèle l’ampleur de la crise qui éclate au moment même où le PCF est touché par une succession de chutes. Jusqu’à toucher Jean Catelas lui-même, arrêté le 15 mai 1941 et dont le martyre est suivi par l’auteur jusqu’à son exécution le 24 septembre 1941, après sa condamnation à mort par le tribunal d’État français.

S’appuyant sur des témoignages oraux qu’il a recueillis lui-même et sur des archives inédites de l’IC qu’a récupérées Serge Wolikow, historien bien connu du mouvement communiste international et auteur, ici, d’une introduction qui complète le livre en se polarisant sur les débats de l’IC, Roger Bourderon ne fait pas que reconstituer l’histoire mal connue d’une crise interne. Il tire avec habileté les différentes ficelles d’une histoire complexe : stratégie du PCF, processus décisionnel, clandestinité, juridiction d’exception, mécanisme de régulation politique dans le système partisan communiste (avec la figure obligée du « groupe »), psychologie de responsables communistes. Cette leçon de micro-histoire s’accompagne d’une mise à jour de notre arrière-cuisine : on y trouve ainsi les rapports de Dallidet reproduits en annexe, mais également ce qui est au cœur de notre démarche historienne, à savoir l’aller-retour constant entre nos hypothèses de travail et les sources qui permettent [End Page 102] de les nuancer ou de les transformer, jusqu’à une nouvelle validation par les sources, dans un long processus qui aboutit à la construction finale, sinon définitive, du récit 13.

Footnotes

13. Voir depuis également J.-P. Besse et C. Pennetier, Juin 40 : la négociation secrète, Ivry-sur-Seine, éditions de l’Atelier, 2006.

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