• Les loisirs sportifs en milieu de grande industrie: sport, patronat et organisations ouvrières au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879–1939)
Abstract

This study describes the origin and development of the sports phenomenon in the industrial cities of Le Creusot and Montceaules- Mines (Saône-et-Loire, Burgundy), from 1879 to 1939. Throughout this period, sports in Le Creusot were totally dominated by associations led and controlled by the manufacturers, whereas in Montceau-les-Mines, worker sports were the object of conflict between industrialists and labor organisations. Such a contrast signals the existence of tight connections at the local level between the history of a place and the way in which a sport develops there. At the same time, these observations suggest some conclusions about historical conditions necessary to the emergence of worker sports activities. Before the Second World War in traditional industrial locations, the presence of a strong, established worker organisation – similar to the Montceau-les-Mines’ workers movement – as well as individual initiatives appear to have been essential. Investigations also show huge conflicts at the local level between “worker sports” and “sports led by manufacturers”. Ultimately this study demonstrates that industrialists and workers’ organisations have very different conceptions of sports. Besides this classic split, local relations between the classes can also influence these conceptions.

Résumé

Cet article retrace, de 1879 à 1939, la naissance et l’essor du fait sportif associatif au sein des cités industrielles du Creusot et de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire, Bourgogne). Tout au long de la période, le sport creusotin apparaît totalement dominé par des associations de type patronal, contrôlées par les industriels, tan dis que patronat et organisations ouvrières se disputent l’encadrement sportif des travailleurs de Montceau-les-Mines. Un tel contraste traduit l’existence de liens étroits, à une échelle locale, entre l’histoire des espaces et les modalités selon lesquelles s’y effectue le développement du phénomène sportif. Il autorise quelques réflexions quant aux conditions d’émergence du sport travailliste: dans les premiers bassins industriels et avant la Seconde Guerre mondiale, une organisation ancienne et solide des travailleurs, comparable à celle des ouvriers montcelliens, ainsi que des initiatives individuelles semblent indispensables à la naissance du sport ouvrier. Cette recherche éclaire les rivalités fortes qui s’établissent, à l’échelle locale, entre sport ouvrier et sport patronal. Elle souligne la divergence des regards portés sur les loisirs sportifs par les dirigeants des deux types d’organisations et, au-delà d’une dichotomie assez classique, elle révèle l’influence que peut avoir sur ces conceptions, au fil du temps, l’évolution du rapport de force entre patronat et travailleurs.

À partir de la fin du xixe siècle, sous l’influence notamment des sports modernes venus d’Angleterre, le goût pour l’activité physique se diffuse en France. Les pratiques sportives se développent, d’abord assez lentement puis de façon beaucoup plus rapide durant l’entre-deux-guerres. Dans le même temps, ces activités, essentiellement bourgeoises à l’origine, sont l’objet d’un vaste processus de démocratisation. Ainsi, dès les premières années du xxe siècle, le sport constitue l’une des principales dimensions du temps libre des ouvriers. Les recherches présentées dans cet article ont pour objectif de retracer, à l’échelle de localités, la naissance et l’essor du fait sportif associatif. Les cités du Creusot et de Montceau-les-Mines, toutes deux situées dans le bassin industriel de Saône-et-Loire, en Bourgogne, ont été retenues comme cadre d’investigation. Peuplées pour l’essentiel d’ouvriers, elles présentent en effet l’avantage d’être dotées d’une vie sportive relativement dense. En outre, à la fois proches et très différentes, elles forment un terrain tout à fait propice à la mise en place d’une approche historique comparative.

Il s’agit donc de mettre en évidence, en les confrontant, les grandes évolutions de l’histoire sportive des deux villes et les caractères de leurs mouvements sportifs. Il s’agit également de mettre en relation ces phénomènes avec l’histoire économique, politique et sociale des deux espaces, histoire riche et relativement bien connue à ce jour. Dès lors, l’analyse peut permettre d’appréhender, à partir d’un exemple, la manière dont s’articulent le profil sportif et les caractéristiques plus générales d’un territoire. Au-delà, ce sont les modalités d’encadrement des pratiques sportives des catégories populaires qui nous intéressent. Le caractère local des travaux permet en effet de donner une illustration précise des rapports qui s’établissent, jusqu’au milieu du xxe siècle, entre les associations sportives patronales et les structures sportives ouvrières (ou travaillistes), ainsi que des missions assignées aux sociétés sportives par les dirigeants des deux types de groupements. Enfin, les enquêtes menées au Creusot et à Montceau-les-Mines autorisent à formuler quelques réflexions relatives aux conditions d’émergence du sport travailliste. Elles approchent ainsi un aspect encore largement méconnu de l’histoire de ce mouvement.

Nous suivons cette histoire de 1879 à 1939. La première borne correspond à la date de création de la plus ancienne société sportive de l’espace concerné 1. À l’autre extrémité, la Seconde Guerre mondiale constitue une véritable rupture dans l’histoire du fait sportif en France. Le mouvement sportif, plus homogène, moins concurrentiel, est en effet très différent après 1945 de ce qu’il était dans l’entre-deux-guerres. [End Page 49] La vie sportive de ces localités est notamment appréhendée par l’intermédiaire de documents extraits des archives départementales de Saône-et-Loire 2, des archives de l’Académie François Bourdon 3, des archives de la société savante montcellienne La Physiophile et des archives privées de quelques associations sportives 4. Enfin, des entretiens oraux ont également été menés auprès de trois anciens habitants et membres du mouvement sportif du Creusot et de Montceau-les-Mines 5.

L’emprise patronale sur les loisirs sportifs des ouvriers: similitudes et divergences au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879–1898)

Dans les années 1850, le bassin minier de Saône-et-Loire devient le centre français le plus important du capitalisme industriel. Implantées au cœur de cet espace, les cités du Creusot et de Montceau-les-Mines contribuent pour une large part à sa réussite économique. En effet, dès 1836, Le Creusot accueille avec les Établissements Schneider une importante société métallurgique. Parallèlement, la cité de Montceau-les-Mines, constituée officiellement en 1856, se développe autour de l’entreprise d’extraction minière Chagot, née en 1833 de la réorganisation d’anciennes houillères. Distantes d’une vingtaine de kilomètres seulement, les deux cités présentent alors le même profil résolument industriel. Dans la seconde moitié du xixe siècle, toutes deux connaissent un essor considérable: la Compagnie des mines Chagot jouit d’une grande prospérité, tandis que les Établissements Schneider, plus puissants encore, voient leur renommée dépasser les frontières nationales. Les travailleurs affluent toujours plus nombreux dans ces régions et, dès la fin du xixe siècle, chacune des deux entreprises emploie environ dix mille ouvriers 6.

C’est dans un tel contexte que s’engage, au Creusot et à Montceau-les-Mines, la mise en place d’un mouvement sportif. Le phénomène touche en effet les deux villes de façon presque simultanée, à la charnière des décennies 1870 et 1880 7. Au Creusot, la première société aurait ainsi été créée en 1879, tandis que la première [End Page 50] association marquant l’histoire sportive montcellienne apparaît en 1881. Il s’agit de deux sociétés de tir. Celle du Creusot est nommée Société de tir du Creusot, et celle de Montceau-les-Mines Société de tir du Bois-du-Verne 8, en référence au nom du quartier dans lequel elle s’implante. Au-delà, et avant le tournant du xixe et du xxe siècles, quatre organisations nouvelles voient le jour: une au Creusot et trois à Montceau-les-Mines. Le Vélo club creusotin est fondé en 1891 9, la société de gymnastique montcellienne Progrès et patrie en 1884 10, le Vélo club de Montceau-les-Mines en 1891 et la Société de joutes et de natation de Montceau-les-Mines en 1894 11. À une époque oú le fait sportif diffuse en France par l’intermédiaire de sociétés le plus souvent « neutres », parfois dites « bourgeoises », il est important de remarquer que les ouvriers de la grande industrie bourguignonne découvrent les activités sportives dans le cadre de structures « affinitaires » de type patronal 12. En effet, toutes les associations évoquées jusqu’ici sont fondées sur l’initiative du patronat, dirigées par les industriels eux-mêmes (ou par des cadres et ingénieurs des entreprises) et fréquentées par les ouvriers 13. À titre d’exemple, les statuts du Vélo club creusotin indiquent que le président et le vice-président de la société sont tous deux employés de direction aux Etablissements Schneider 14. De même, les statuts de l’association montcellienne Progrès et patrie révèlent que Léonce Chagot, directeur de la Compagnie des mines de 1877 à 1893, est président d’honneur de la société, tandis que Lionel de Gournay, l’un des principaux cadres (et futur directeur 15) de l’entreprise, assume le rôle de président. Il est également stipulé que le titre de président d’honneur « n’est pas seulement honorifique » et que Léonce Chagot dispose d’une « voix délibérative soit dans le conseil soit dans les assemblées générales toutes les fois qu’il jugera à propos d’y assister ou de s’y faire représenter » 16. Par ailleurs, le [End Page 51] président Lionel de Gournay est dit « inamovible » et possède le pouvoir de nommer et révoquer le vice-président 17. Les statuts signalent enfin que le groupement compte au moment de sa constitution cinquante-six membres, tous ouvriers de la Compagnie des mines 18.

Le constat d’une forte emprise patronale sur les loisirs sportifs des travailleurs, au Creusot comme à Montceau-les-Mines, ne doit pas surprendre. Au sein de ces espaces, en effet, l’influence du patronat est si grande qu’elle s’exprime bien au-delà des limites du secteur économique. Jusqu’à la fin du siècle, dans chacune des deux cités, le pouvoir politique est détenu par les industriels et ces derniers, ainsi que l’ont déjà montré de nombreux historiens 19, entendent contrôler tous les domaines de la vie sociale. Dans une perspective paternaliste, les dirigeants d’entreprise cherchent à maîtriser tous les aspects de la vie ouvrière, dans l’usine et hors d’elle 20. Ils améliorent ainsi la condition ouvrière, mais renforcent également la dépendance du prolétaire vis-à-vis du patron. L’infantilisation du travailleur est bien sensible dans les déclarations de Jules Chagot, premier directeur de la Compagnie des mines, qui déclare au début des années 1870: « Nous ne formons tous ici qu’une grande famille, dont je m’honore d’être le chef et le protecteur » 21. Dès lors, le sport ne semble constituer au Creusot et à Montceau-les-Mines qu’un champ supplémentaire, moins connu mais bien réel, au sein duquel s’exprime le pouvoir patronal 22.

Ainsi, à la fin du xixe siècle, le Creusot et Montceau-les-Mines affichent au premier abord des contours semblables, tant sur le plan de l’histoire économique, politique et sociale que sur le plan de l’histoire sportive. Toutefois, et même s’il faut considérer que les similitudes dominent au cours de cette première période, une analyse plus approfondie fait également apparaître, à plusieurs niveaux, des divergences. L’analyse de ces contrastes, qui sont d’ailleurs annonciateurs des temps à venir, permet de poursuivre la mise en relation des faits sportifs et de l’histoire plus globale des localités. Bien que le contrôle du patronat sur la population ouvrière, au Creusot comme à Montceau-les-Mines, ne fasse pas de doute, des différences apparaissent en effet entre les deux espaces pour ce qui est de la réception et du degré d’acceptation, par les travailleurs, de la politique paternaliste. [End Page 52]

Au Creusot, de 1871 jusqu’au tournant du xixe et du xxe siècles, le patronat exerce son influence sans manifestation hostile de la part de la population ouvrière 23. À Montceau-les-Mines, en revanche, ainsi que l’indiquent plusieurs spécialistes de l’histoire locale 24, « la soumission n’est qu’apparente » et « l’esprit de révolte couve sous la cendre » 25. Le patronat n’est jamais gravement inquiété, mais il doit compter avec la présence dans la cité de diverses forces d’opposition, et s’organiser pour y faire face. Ainsi, dès les années 1870, quelques syndicalistes sont présents dans la cité et adhèrent secrètement à la Bourse du travail de Dijon 26. En février 1878, une première grève est déclenchée. Maîtrisée assez rapidement, la mobilisation des mineurs entraîne cependant dans les mois suivants la création d’une société clandestine, La Marianne, farouchement opposée au patronat local. En 1881, deux chambres syndicales sont formées: La Pensée du Bois-du-Verne et Les Justiciers du droit. Dès lors, et parce que les industriels refusent d’engager le dialogue avec les organisations de travailleurs, les esprits s’échauffent. La première moitié de la décennie 1880 est marquée par une série d’incidents qui, certes, sont le fait d’une minorité mais bousculent assez fortement le patronat. La cité vit dans la crainte: des rixes éclatent, des bâtiments industriels sont détruits, des cadres de l’usine sont agressés. De ce point de vue, l’émeute du quartier ouvrier du Bois-du-Verne est sans doute l’événement le plus violent de la période, et celui qui marque le plus vivement la mémoire collective. Dans la nuit du 15 au 16 août 1882, la chapelle du Bois-du-Verne est prise d’assaut par trois cents mineurs, pillée et incendiée 27. Les responsables de tels agissements appartiennent à une organisation connue sous le nom de la Bande noire, formée en 1877 ou 1878, qui rassemble environ huit cents hommes au début des années 1880. D’après les réflexions de Jean Maitron, si ce groupement ne constitue pas un mouvement anarchiste conscient, il en adopte néanmoins les pratiques 28. Le calme ne revient véritablement à Montceau-les-Mines que dans la seconde moitié des années 1880, après l’arrestation, le jugement et la condamnation des principales figures de la Bande noire. Au travers de ces événements, le patronat local prend conscience de la menace que représente le prolétariat. La politique d’encadrement des travailleurs se durcit. À partir de 1885, une police privée composée de « mouchards » à la solde de la Compagnie des mines est mise en place et s’emploie à faire taire le désir d’émancipation qui s’est insinué dans les esprits des travailleurs. Les fauteurs de trouble sont pourchassés, épiés et contraints pour beaucoup à s’exiler. [End Page 53]

Les désordres évoqués ci-dessus et les écarts qui se manifestent entre les villes du Creusot et de Montceau-les-Mines du point de vue de l’histoire sociale entrent en correspondance avec d’autres observations. Un retour à l’histoire sportive des deux cités invite en effet à considérer qu’au-delà des apparences, et même si les profils sportifs du Creusot et de Montceau-les-Mines à la fin du xixe siècle sont comparables dans leurs grandes lignes, la vie associative des localités se révèle parfois différente. Ainsi, au Creusot, il semble que le calme qui règne dans la cité se manifeste également au sein du mouvement sportif, qui apparaît comme un espace tout à fait pacifique. Ici, les associations patronales font l’unanimité. Les archives du sport local ne témoignent d’aucune critique formulée à leur encontre. En outre, les travaux de François Portet suggèrent que les clubs schneidériens s’implantent solidement et connaissent un essor rapide 29. À titre d’exemple, la Société de tir du Creusot fondée en 1879 compte environ sept cents membres en 1901 30. Dans un climat de paix sociale, certains de la confiance que leur accordent les ouvriers, les industriels de la localité peuvent attribuer aux sociétés sportives qu’ils contrôlent les plus hautes missions. Sans oublier d’adopter une attitude vigilante à l’égard des masses ouvrières, le patronat est tenté de formuler des ambitions qui vont au-delà de la préservation de l’ordre en place. On attend donc des clubs patronaux qu’ils stabilisent et « canalisent » 31 la main-d’œuvre, mais aussi qu’ils jouent un rôle central dans la réalisation d’un projet plus vaste. Les industriels sont en effet engagés depuis le milieu du xixe siècle dans la création d’une « ville-usine» 32 , un modèle idéal de société industrielle qui implique une orientation de l’ensemble de la société creusotine vers la sphère du travail et vers les Établissements Schneider 33. Les pratiques sportives sont dès lors envisagées comme l’un des moyens de mettre en communication les domaines du travail et du temps libre en comblant les « temps morts» 34 qui séparent différentes séquences d’activité industrielle. En outre, celles-ci doivent permettre l’amélioration du rendement. Les associations patronales sont censées donner aux ouvriers le goût de l’effort et, parce qu’elles « s’agencent selon des modèles formalisés de distribution du travail et des pouvoirs », elles doivent les familiariser avec le principe hiérarchique et certaines formes d’organisation du travail 35. [End Page 54]

À Montceau-les-Mines, en revanche, bien que ne devant faire face à aucune concurrence directe, les structures sportives dirigées par les industriels suscitent quelques protestations. Ainsi, de même que l’emprise du patronat sur la cité n’est pas toujours bien acceptée, la mainmise de la famille Chagot sur les activités sportives des travailleurs soulève parfois la critique. Dès le début des années 1890, la mouvance républicaine montcellienne invite ainsi, par voie de presse, les travailleurs à une prise de conscience et les exhorte à fuir les structures sportives patronales. Dans les colonnes de L’Union républicaine, on peut lire que les associations patronales sont subventionnées « avec le produit de la sueur des ouvriers » et qu’elles ont pour fonction « d’isoler les ouvriers de la politique et de les endormir en portant atteinte à leurs libertés » 36. Par ailleurs, dans le cadre même des clubs de la Compagnie des mines, des incidents éclatent. Les archives d’une société savante locale relatent ainsi des heurts au sein de l’association Progrès et patrie. Des républicains anticléricaux, membres de la société de gymnastique, refusent d’accompagner leurs dirigeants chez le prêtre du quartier montcellien du Magny au nom de la neutralité inscrite dans les statuts de la structure 37.

Dans des circonstances oú l’hégémonie patronale est parfois contestée, au niveau de la cité comme dans le champ plus restreint des activités physiques, le développement d’associations sportives ne répond pas exactement, chez les industriels montcelliens, au même type d’impératifs que chez leurs homologues du Creusot. L’apaisement des tensions, puis le maintien de la paix sociale constituent à Montceau-les-Mines le principal objectif du patronat, et la volonté de contrôler les associations sportives est donc liée à cette préoccupation essentielle. Le discours est pragmatique. Convaincus qu’« il faut offrir à l’ouvrier quelque chose pour le distraire » et que « les associations [...] sont encore le meilleur dérivatif, la meilleure soupape de sécurité contre les passions populaires » 38 , les industriels assignent avant tout aux organisations sportives un rôle d’encadrement et de contrôle des populations ouvrières 39. La mission conférée aux structures sportives est ouvertement exposée aux travailleurs. En 1890, la Compagnie des mines publie à l’intention de son personnel une notice indiquant: « Les associations bien dirigées […] apprennent aux braves gens à se compter, à se connaître et à s’apprécier ; elles permettent de démasquer plus facilement les meneurs, les nullités tapageuses » 40.

Ainsi, au Creusot comme à Montceau-les-Mines, c’est bien le patronat qui assure seul, avant 1899, l’encadrement des loisirs sportifs des travailleurs et maîtrise donc totalement la dimension sportive des loisirs des ouvriers. La prise en main du mouvement sportif par les grands industriels est néanmoins assez inégalement acceptée. De même, des nuances apparaissent entre les deux espaces quant à la fonction que [End Page 55] le patronat entend attribuer aux structures sportives qu’il contrôle. Ainsi, l’histoire du sport au Creusot et à Montceau-les-Mines reflète, en même temps qu’elle en révèle un aspect particulier, la force et les nuances des politiques d’encadrement de la main-d’œuvre déployées dans ces espaces. Par ailleurs, à Montceau-les-Mines, les tensions relevées dans le champ sportif sont certainement très symptomatiques d’une crise latente et d’une conscience de classe en construction, qu’une minorité de militants conduit la population ouvrière à développer. De même, les analyses effectuées dans le champ sportif sont utiles, au Creusot, pour témoigner de l’ampleur du pouvoir patronal, enrichir les descriptions déjà faites en ce sens et confirmer l’omnipotence des Schneider.

L’agitation sociale au tournant du siècle: le temps des ruptures (1899–1901)

Sur le plan de l’histoire politique et sociale, les similitudes existant entre Le Creusot et Montceau-les-Mines s’effacent totalement à l’extrême fin du xixe siècle 41. En effet, ainsi que l’indique Pierre Goujon, les trajectoires des deux cités vedettes de l’économie départementale se séparent alors de manière très nette: « Le tournant du siècle fut marqué dans le bassin industriel du Creusot-Montceau-les-Mines par de graves conflits sociaux qui allaient désormais donner à chacune de ces deux villes un destin, une atmosphère et des comportements fort distincts » 42. À Montceau-les-Mines, des actions ouvrières éclatent en 1899 et 1901 et se soldent par la victoire totale des travailleurs. Le mouvement ouvrier local prend corps. Une Chambre syndicale des ouvriers mineurs et similaires de Montceau-les-Mines est constituée en 1899 43 et en 1900 est élu à la municipalité montcellienne Jean Bouveri, premier maire socialiste de Saône-et-Loire 44. Dans le même temps, une union départementale de la CGT et une fédération départementale socialiste sont fondées. Au lendemain des événements, la Compagnie des mines est restructurée. Désormais confronté à des organisations ouvrières puissantes, le pouvoir patronal est contraint de renoncer à présider aux destinées de la ville. Un ingénieur remplace Lionel de Gournay à la tête de l’entreprise à partir de 1900. Il déclare alors que l’unique mission qu’il a reçue de son conseil d’administration est de « produire du charbon » 45. [End Page 56]

Au Creusot en revanche, l’issue des conflits opposant le patronat aux travailleurs, notamment en 1899 et 1900, est tout autre. Certes, l’agitation sociale est réelle et les mouvements de grève, très durs, que connaît la cité conduisent en juin 1899 à la création d’un Syndicat des ouvriers métallurgistes. Pourtant les revendications ouvrières se heurtent ici à des résistances particulièrement fortes. L’étendue du pouvoir patronal sur la ville est si grande que ni la grève générale ni la création du syndicat ne parviennent à l’ébranler véritablement. Les événements du tournant du siècle voient l’échec total des organisations ouvrières 46. Le patronat retrouve alors son emprise sur la ville et se donne pour ambition d’« effacer à tout prix le souvenir des grèves de 1899 de la conscience ouvrière et en même temps [de] dissuader pour longtemps les travailleurs du Creusot de reprendre la lutte » 47. La victoire d’Eugène Schneider aux élections municipales de 1900 confère à la politique de contrôle des masses laborieuses des dimensions extrêmes: les pratiques de répression et la contrainte perpétuelle règnent dans les usines, le mouvement syndical est anéanti, la vie sociale et culturelle fait l’objet d’un véritable noyautage. S’il était permis jusqu’ici de parler de patronage (au sens d’une forme de domination excluant l’oppression), c’est bien une politique paternaliste intense, dans l’acception négative du terme 48, qui est désormais mise en œuvre.

La comparaison des profils sportifs du Creusot et de Montceau-les-Mines au cours de la période 1899–1901 ne fait que renforcer le constat de différences profondes s’établissant entre les deux cités. Dans le fief des Schneider, quatre structures sportives importantes voient le jour durant l’année 1901. Il s’agit d’une société de natation, la Société nautique du Creusot, d’une société d’escrime, L’Espérance, d’une Société de quilles et boules, et enfin d’une Société de jeux divers 49, chargée de gérer les installations mises à la disposition des ouvriers par l’entreprise métallurgique 50. À ces associations il faut ajouter la formation en 1901 d’un Cercle sportif creusotin, qui se distingue par les activités qu’il organise. En effet, en proposant à ses membres la pratique de la course à pied et du rugby, qui est à l’époque typique des catégories sociales aisées, cette société s’adresse probablement davantage aux cadres et employés des établissements métallurgiques qu’aux ouvriers 51. Quoi qu’il en soit, tous ces groupements sont contrôlés par les établissements Schneider. Le financement de la construction de terrains et de salles d’entraînement est assuré par l’entreprise, de même notamment que la rémunération des entraîneurs 52. À la tête des associations sont placés des membres de la direction de l’usine. Extrêmement sévères, ils organisent « quasi militairement » les sociétés sportives qu’ils dirigent et « remplissent [ici] le même rôle […] que dans l’atelier qu’ils commandent » 53. Ainsi, les sociétés [End Page 57] sportives qui s’implantent au Creusot au tournant du xixe et du xxe siècles, parce qu’elles sont de type patronal, ne font que conforter l’homogénéité du mouvement sportif local, caractéristique de la fin du xixe siècle.

De la même façon, à Montceau-les-Mines, deux nouvelles associations patronales sont formées. La société de gymnastique Les Mineurs du Bois-du-Verne naît en 1899 54, et constitue une sorte de filiale de l’association Progrès et patrie fondée en 1884 55. La Montcellienne, qui s’oriente également vers la pratique de la gymnastique, est créée en 1901 56. Toutefois, dans la cité montcellienne, l’année 1899 est également marquée par la naissance des premières structures sportives pouvant être qualifiées d’ouvrières, avant même que ne s’institutionnalisent, au plan national, les organisations sportives socialistes 57. Cinq groupements sportifs gérés et fréquentés par les ouvriers, et dont les appellations font référence de manière assez explicite à un idéal politique, voient le jour. Trois de ces sociétés, respectant ce qui apparaît déjà comme une tradition sportive locale, organisent la pratique de la gymnastique 58. Il s’agit de L’Avenir des enfants socialistes, implantée dans le quartier du Bois-du-Verne 59, de L’Alliance sociale 60 et de la société Liberté et progrès 61. Ces associations côtoient un club de cyclisme, La Pédale sociale 62, et une société de joutes et de natation, La Liberté sociale 63. La mise en place de sociétés sportives ouvrières doit être considérée comme une rupture importante dans l’histoire sportive montcellienne. Le mouvement sportif local abrite désormais différents types d’organisations. Il apparaît plus complexe qu’il ne l’était à la fin du xixe siècle et se distingue clairement des orientations sportives toujours affichées par la cité creusotine. [End Page 58]

Concernant ces années, les sources manquent pour établir des constats définitifs sur les conceptions qui président chez les industriels creusotins et montcelliens comme au sein des organisations ouvrières de Montceau-les-Mines à la mise en place de nouvelles structures sportives. Il convient donc de s’en tenir à des hypothèses Il paraît probable que le climat d’agitation sociale – qui touche de la même manière les deux villes industrielles mais apparaît comme un fait inédit dans la cité des Schneider – atténue les nuances mises en évidence précédemment dans les conceptions affichées par le patronat au Creusot et à Montceau-les-Mines au sujet des pratiques sportives des ouvriers. Bousculés dans leur suprématie, les Schneider renoncent sans doute, au moins pour un temps, aux grandes missions qu’ils assignaient à leurs associations sportives et rejoignent certainement le patronat montcellien dans une vision plus pragmatique de ces structures, désormais essentielles pour apaiser des populations gagnées par la révolte. Par ailleurs, il semble évident que les travailleurs participant au développement à Montceau-les-Mines des premières associations ouvrières, donnent à ces clubs un sens politique. Ces derniers doivent être perçus à la fois comme une victoire des masses sur le patronat, symbole de leur résistance, et comme un moyen de contribuer à la lutte des ouvriers mineurs, qui prend alors une ampleur considérable. Au plan national, les fédérations sportives travaillistes affichent d’ailleurs le même type de préoccupations lorsqu’elles s’institutionnalisent au début du xxe siècle. La volonté de contribuer à la transformation de la société capitaliste en une société socialiste et le projet d’émancipation de la classe laborieuse sous-tendent l’ensemble des discours de leurs dirigeants 64. À ce propos, les historiens du mouvement sportif ouvrier signalent bien l’ambivalence du sport travailliste, à la fois révélateur de la prise de conscience d’une situation de domination et élément structurant de la conscience de classe d’un groupe 65.

De la même façon, en l’absence de documents d’archives évoquant le quotidien des groupements sportifs de Montceau-les-Mines, il est difficile de rendre compte de manière concrète des oppositions qui doivent s’établir ici entre les sociétés patronales et les sociétés ouvrières. Cependant, au vu de l’inventaire des associations sportives de la localité, qui fait état de sociétés patronales et ouvrières investissant parfois rigoureusement les mêmes espaces (le quartier du Bois-du-Verne notamment, très peuplé et dont le caractère hautement revendicatif a déjà été suggéré supra) et proposant souvent le même type d’activités (la gymnastique), il est légitime de supposer que de fortes rivalités existent entre certains groupements sportifs montcelliens. Une telle hypothèse est soutenue par les analyses de Pierre Goujon. L’auteur présente la société patronale Les Mineurs du Bois-du-Verne, filiale de Progrès et patrie, comme le symbole de la volonté du patronat montcellien de contrôler le quartier du Bois-du-Verne [End Page 59] en particulier. Il considère alors la constitution de L’Avenir des enfants socialistes dans ce même espace, quelques mois après la naissance de l’association Les Mineurs du Bois-du-Verne 66, comme une réaction des travailleurs à la pénétration du sport patronal sur des terres à forte empreinte ouvrière 67.

Ainsi, alors que s’ouvre le xxe siècle, Le Creusot et Montceau-les-Mines affichent des profils sportifs profondément distincts. Des contrastes, dont les prémices avaient été identifiées au cours de la période précédente, sont révélés et s’expriment pleinement. La domination des associations patronales se poursuit au Creusot, tandis que l’espace sportif montcellien apparaît concurrentiel, partagé entre des influences patronales présentes pour l’essentiel depuis les années 1880 et des influences ouvrières plus récemment établies. De toute évidence, le maintien de la domination des associations sportives patronales au Creusot peut être rapproché de l’échec des manifestations des métallurgistes et de la réaffirmation du pouvoir schneidérien sur la cité au tournant du xixe et du xxe siècles. L’autorité avec laquelle sont gérées les sociétés sportives évoque même le durcissement au cours de la période de la politique de contrôle des masses ouvrières, ou plus généralement la rigueur toujours déployée par les industriels creusotins lorsqu’il s’agit de former, d’encadrer et de surveiller la population laborieuse. De la même façon, la précocité de l’émergence des structures sportives ouvrières à Montceau-les-Mines fait écho à l’efficacité qui caractérise le mouvement ouvrier local, à l’ampleur de ses revendications et de ses actions, et aux victoires enregistrées par les mineurs dans les grèves qu’ils engagent. Ici, le patronat perd le monopole de l’encadrement des activités sportives en même temps qu’il perd le monopole de la ville.

Ainsi, de nouvelles possibilités de rapprochements entre les propriétés des espaces sportifs locaux et les grandes lignes de l’histoire des deux villes industrielles apparaissent très clairement. Les divergences mises en évidence au plan de la vie sportive de 1899 à 1901 prolongent les distinctions qui s’établissent du point de vue politique et social et renforcent le constat de trajectoires différentes. Enfin, les réflexions qui précèdent autorisent à formuler quelques hypothèses quant aux facteurs permettant l’implantation du sport ouvrier en un espace donné. Les périodes d’agitation sociale, tout d’abord, semblent favoriser la création de sociétés travaillistes. Puis le développement du sport ouvrier paraît exiger, au-delà d’un simple rassemblement de travailleurs, une présence assez forte du mouvement ouvrier politique et syndical. Si l’importance et l’ancienneté de la population laborieuse de Montceau-les-Mines facilitent sans doute la mise en place du sport travailliste dans la localité, il apparaît en effet de façon très nette qu’il ne suffit pas aux métallurgistes du Creusot d’afficher de telles qualités pour que le même phénomène soit observé ici 68. [End Page 60]

Omnipotence du patronat creusotin et affirmation du mouvement sportif ouvrier à Montceau-les-Mines (1902–1939)

Depuis le début du xxe siècle et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, si les cités du Creusot et de Montceau-les-Mines poursuivent de façon plus ou moins parallèle leur essor économique, elles apparaissent totalement opposées pour ce qui est de la vie politique et du climat social.

La cité montcellienne constitue l’un des principaux bastions du mouvement ouvrier départemental. Lorsque les cheminots de Saône-et-Loire entrent en grève en 1919 69, les mineurs de Montceau-les-Mines sont parmi les premiers à les suivre. Jusqu’à la fin de l’année 1920, ils mènent une série d’actions de grande ampleur. De même, en 1936, les ouvriers montcelliens sont les principaux acteurs des grèves importantes, souvent très longues, qui touchent le bassin minier. À l’inverse, au Creusot, le mouvement syndical est décrit comme « faible […] et inconsistant » 70, au moins jusque dans les années 1940. La peur de la répression patronale explique en grande partie cette situation. En 1907, la presse socialiste départementale indique ainsi à propos de la localité: « C’est un pays oú il faut penser comme le patron, sans cela c’est la porte » 71. L’emprise patronale sur la vie des masses laborieuses se poursuit donc inexorablement au cours de la période. En 1919 et 1920, si quelques métallurgistes adhèrent aux mouvements de grève, ils représentent toutefois moins de 10 % des effectifs des ouvriers de l’usine et leur échec, prévisible, ne fait que conforter le pouvoir schneidérien 72. L’élection inattendue du socialiste Paul Faure à la mairie du Creusot en 1925, pour une durée de quatre ans, ne change rien à la donne 73. Durant ces années, devant l’impossibilité de pénétrer la forteresse de l’usine Schneider, « le socialisme local [n’apporte] aucun appui aux prolétaires dans le domaine de l’organisation ouvrière » 74. Enfin, en 1936, Le Creusot est la seule cité industrielle de Saône-et-Loire qui se maintient tout à fait en dehors des luttes sociales 75.

Dans le domaine sportif, les contrastes déjà signalés entre les deux cités industrielles ne font que s’affirmer au cours de cette troisième période. Au Creusot, le mouvement [End Page 61] sportif ouvrier demeure absent de la cité 76 et il semble même qu’aucune tentative de création de club travailliste n’ait été enregistrée 77. L’emprise exercée par les associations patronales sur l’espace sportif local est largement confirmée. Les associations évoquées jusqu’ici, tout d’abord, grâce à la qualité de leur organisation, subsistent pour la plupart d’entre elles 78. La société d’escrime L’Espérance et la Société nautique du Creusot, par exemple, fonctionnent au cours de l’entre-deux-guerres et existent encore aujourd’hui. Les archives de ces structures portent, au fil des années, la marque des liens avec les dirigeants des entreprises 79. Le Cercle sportif creusotin subsiste également, même s’il se nomme depuis 1921 Club olympique creusotin et abandonne progressivement la pratique de la course à pied pour se consacrer uniquement au rugby 80. En outre, aux sociétés patronales déjà citées s’ajoute un nouveau club, formé par les industriels en 1909 sous le titre d’ Union gymnique 81. Enfin, une association sportive catholique 82 et deux sociétés neutres, constituées respectivement en 1908, 1922 et 1931 83 et qui auraient pu être considérées comme de premiers obstacles à la mainmise du patronat sur les loisirs sportifs, apparaissent très vite comme étant également soumises à la tutelle des Établissements Schneider. La Jeunesse ouvrière creusotine, société catholique de football, est en effet dirigée par un cadre de l’usine. Et le patronat verse aux deux associations neutres, la Pédale sportive creusotine et le Club bouliste creusotin, de confortables subventions qui lui permettent d’exercer sur elles un contrôle indirect. Ainsi, en étendant leur influence jusqu’aux rares sociétés échappant à la stricte définition de patronales, les industriels sont toujours au Creusot les seuls maîtres de l’encadrement des activités sportives.

À Montceau-les-Mines, en revanche, et dans le prolongement des faits évoqués précédemment, le mouvement sportif peut être défini comme un terrain d’affrontements, oú se heurtent pour l’essentiel des organisations patronales et des organisations ouvrières. En effet, les anciennes structures émanant de la Compagnie des mines parviennent à maintenir leur niveau d’activité et jouent encore un rôle important dans la vie sportive locale. Le Vélo club de Montceau-les-Mines, par exemple, fondé en 1891, se montre très actif dans l’entre-deux-guerres. Il organise [End Page 62] de nombreuses courses et forme des sportifs de bon niveau 84. Par ailleurs, l’abandon certainement assez rapide des sociétés ouvrières nées en 1899 85 n’empêche pas le mouvement travailliste de résister encore à l’emprise patronale et de réaliser dans la cité, en particulier au temps du Front populaire, des avancées significatives. En 1935 est fondé le Basket club landais 86, puis en 1937 l’Avenir sportif ouvrier montcellien, société de gymnastique, de lutte et de boxe 87. Enfin, l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne voit le jour en 1938 88. Ainsi, au cours de la période, seules deux associations montcelliennes échappent à la fois au patronat et au mouvement ouvrier. Il s’agit de sociétés de gymnastique féminine, Les Hirondelles sportives de Montceau et Montceau femina club, l’une catholique et l’autre laïque 89, constituées en 1938 et 1939 90.

Donc, du point de vue tant politique et social que sportif, les tendances mises en évidence au cours de la partie précédente dans les trajectoires d’évolution du Creusot et de Montceau-les-Mines sont ici confirmées et renforcées. L’histoire sportive des deux villes apparaît une fois encore en pleine cohérence avec une histoire plus globale et s’avère très révélatrice des propriétés de chacun des deux espaces. Les caractéristiques sportives de la cité du Creusot, bien qu’assez particulières, ne surprennent pas véritablement. La domination totale exercée par le patronat sur la vie sportive associative peut être comprise en relation avec les spécificités de la politique paternaliste locale, particulièrement systématique et rigoureuse. L’absence du sport travailliste dans la cité rappelle la faiblesse du mouvement ouvrier local, totalement anéanti après l’échec des mobilisations ouvrières de 1899 et 1900. Elle illustre le constat, déjà dressé par de nombreux historiens, selon lequel dans une ville oú l’entreprise offre du travail aux adultes, une instruction aux enfants, un toit et des loisirs aux familles, aucune enclave échappant au contrôle schneidérien ne peut exister. De la même manière, l’essor du mouvement sportif travailliste à Montceau-les-Mines, au cours de la période, paraît assez conforme aux attentes. La cité est alors dirigée par un maire socialiste et ne cesse, au cours des premières décennies du xxe siècle, de voir se renforcer la puissance de ses organisations ouvrières politiques et syndicales. Les observations effectuées soutiennent enfin les hypothèses énoncées plus haut à propos des conditions devant faciliter l’émergence du sport travailliste. De nouveau, il apparaît que les activités sportives ouvrières se développent en des temps d’agitation sociale et sur des terres oú les organisations de travailleurs sont bien implantées.

L’étude des conditions de formation de la société ouvrière Elan gymnique Montceau Bois-du-Verne permet, tout en donnant un exemple des concurrences [End Page 63] sportives qui s’établissent à Montceau-les-Mines, d’approcher les motivations des responsables du sport ouvrier et de saisir plus finement les mécanismes de formation des clubs travaillistes. À la fin des années 1930, le secteur du Bois-du-Verne est contrôlé par le sport patronal. Les structures anciennes (patronales et ouvrières) implantées dans cet espace ont disparu, mais la société de gymnastique La Montcellienne, déjà évoquée 91, domine alors l’ensemble du territoire de Montceau-les-Mines et, bien qu’établie en dehors du quartier, recrute ici de nombreux adhérents. Une telle situation, toutefois, ne saurait durer. Ainsi qu’il a déjà été suggéré, le Bois-du-Verne est un espace de concurrences sportives. C’est en outre un quartier très populeux qui, fidèle à ses origines, rassemble alors les travailleurs originaires de la région, plus vindicatifs que les ouvriers immigrés installés sur d’autres territoires. La mobilisation des habitants pour fonder une association ouvrière, susceptible de rivaliser avec La Montcellienne, n’a donc rien de surprenant. Le Bois-du-Verne, en quelque sorte, ne peut échapper au mouvement sportif travailliste.

Dans les faits, ce sont deux jeunes hommes, habitants du quartier et membres de La Montcellienne, qui formulent en 1938 l’idée de créer une société de gymnastique ouvrière au Bois-du-Verne. Le premier, Marcel Guichard, alors âgé de vingt-neuf ans, est ouvrier bonnetier de l’entreprise locale Gerbe. Il est le fondateur en 1934 du syndicat des bonnetiers du bassin minier et le principal acteur des grèves de juillet 1936 au sein de son entreprise 92. Le second, Louis Segaud, âgé de vingt-sept ans, est mineur à la Compagnie des mines 93. La population ouvrière soutient immédiatement leur projet. Un local et différents agrès sont rapidement construits. La municipalité socialiste offre également son aide et attribue à la société une subvention qui lui permettra de s’enraciner dans le quartier. L’Elan gymnique Montceau Bois-du-Verne est né et obtient dès ses premiers mois de fonctionnement un succès considérable 94. L’un des plus anciens membres de la structure, résumant aujourd’hui l’état d’esprit dans lequel se trouvaient en 1938 les gymnastes du quartier, indique: « On voulait vraiment avoir notre société de gym à nous, avec des gars de chez nous, sans descendre 95 à La Montcellienne! » 96. La démarche des habitants du Bois-du-Verne exprime ainsi un rejet de la tutelle patronale: les travailleurs semblent percevoir comme une sorte d’incohérence le fait que le patronat, par le biais de ses associations, exerce ses influences jusqu’au cœur des quartiers ouvriers, sur des espaces oú il n’a aucune légitimité. Dans ce cas, si le sport ouvrier n’apparaît pas comme une arme politique au sens strict, il semble être conçu comme un moyen d’affirmer une identité ouvrière, de marquer l’indépendance des travailleurs [End Page 64] par rapport aux industriels et de revendiquer le caractère populaire d’une cité ou de certains de ses quartiers.

Enfin, il faut remarquer que la naissance de l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne est permise par la mobilisation de jeunes sportifs, investis dans les luttes sociales mais ne figurant pas, alors, parmi les leaders du mouvement ouvrier local. Dans cet exemple précis, si le soutien des élus socialistes paraît essentiel pour assurer la pérennité et l’essor de la structure ouvrière, au-delà de sa formation, c’est bien l’investissement de quelques individualités, en amont, qui permet la fondation du groupement. L’exemple montcellien est donc révélateur de l’importance et du caractère déclencheur que peuvent avoir des initiatives individuelles dans les mécanismes conduisant à la création de sociétés sportives ouvrières 97. Si le développement du sport travailliste en un espace requiert généralement la présence d’organisations ouvrières solides, capables de lui apporter le soutien nécessaire, l’émergence des clubs ouvriers peut faire suite à une mobilisation de la population laborieuse ellemême, en des lieux oú la domination du sport patronal lui apparaît intolérable.

L’étude de la vie sportive au Creusot et à Montceau-les-Mines, depuis 1879 jusqu’en 1939, révèle diverses formes d’influences s’établissant sur les loisirs sportifs des travailleurs. Les facteurs signalés comme favorisant la domination du sport patronal au Creusot, de même que les éléments apparaissant déterminants de la montée en puissance du sport ouvrier dans la cité de Montceau-les-Mines, démontrent l’existence de liens étroits, à une échelle locale, entre l’histoire des espaces et les modalités selon lesquelles s’y effectue l’essor du phénomène sportif. À plusieurs reprises, la richesse des mises en relation indique que la connaissance de l’histoire sportive d’un lieu ne permet pas seulement de révéler un aspect original de son passé, mais qu’elle constitue également un outil pertinent pour mieux saisir son histoire et ses caractéristiques plus générales. Les investigations soulignent également, s’il en est encore besoin, les rivalités fortes existant entre sport patronal et sport ouvrier et la divergence des regards portés sur les loisirs sportifs par les dirigeants de deux types de groupements. Le sport est envisagé par les industriels comme un moyen de préserver le calme social et de renforcer l’activité économique, tandis qu’il doit servir pour les organisations ouvrières à l’émancipation des masses et à la revendication d’une identité ouvrière. Cependant, pour dépasser cette dichotomie traditionnelle, les résultats obtenus ici suggèrent également que des nuances sont possibles dans les positions des uns et des autres. Au fil du temps, en fonction des spécificités locales et des évolutions du rapport de force opposant le patronat aux travailleurs, les politiques des industriels, notamment, présentent des visages légèrement différents. Enfin, concernant les modalités d’émergence du sport travailliste, il faut retenir que la seule présence de masses ouvrières en un lieu ne permet pas de définir celui-ci comme un terrain propice au développement du mouvement sportif ouvrier. Ainsi, une organisation ancienne et solide des travailleurs, comparable à celle des ouvriers montcelliens, ainsi que des initiatives individuelles pourraient être envisagées comme les conditions indispensables à la naissance du sport ouvrier dans les premiers bassins industriels. [End Page 65]

Principales associations sportives formées au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879–1939)

Titre Activité Création Type de société
Société de tir du Creusot Tir 1879 Patronale
Vélo club creusotin Cyclisme 1891 Patronale
Société nautique du Creusot Natation 1901 Patronale
L’Espérance Escrime 1901 Patronale
Société de quilles et boules Quilles, boules 1901 Patronale
Société de jeux divers Jeux divers 1901 Patronale
Cercle sportif creusotin Rugby, course 1901 Patronale
Jeunesse ouvrière creusotine Football 1908 Catholique
Union gymnique Gymnastique 1909 Patronale
Pédale sportive creusotine Cyclisme 1922 Neutre
Club bouliste creusotin Boules 1931 Neutre
Titre Activité Création Type de société
Société de tir du Bois-du-Verne Tir 1881 Patronale
Progrès et patrie Gymnastique 1884 Patronale
Vélo club de Montceau-les-Mines Cyclisme 1891 Patronale
Société de joutes et de natation Joutes, natation 1894 Patronale
Les Mineurs du Bois-du-Verne Gymnastique 1899 Patronale
L’Avenir des enfants socialistes Gymnastique 1899 Ouvrière
L’Alliance sociale Gymnastique 1899 Ouvrière
Liberté et progrès Gymnastique 1899 Ouvrière
La Pédale sociale Cyclisme 1899 Ouvrière
La Liberté sociale Joutes, natation 1899 Ouvrière
La Montcellienne Gymnastique 1901 Patronale
Basket club landais Basket-ball 1935 Ouvrière
Avenir sportif ouvrier montcellien Gym., lutte, boxe 1937 Ouvrière
Élan gym. Montceau Bois-du-Verne Gymnastique 1938 Ouvrière
Les Hirondelles sportives de Montceau Gymnastique 1938 Catholique
Montceau femina club Gymnastique 1939 Laïque

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Karen Bretin Maffiuletti

Maître de conférences de sciences et techniques des activités physiques et sportives à l’Université de Bourgogne, membre du laboratoire SPMS (Socio-psychologie et management du sport), EA 4180.

Footnotes

1. Il s’agit de la Société de tir du Creusot.

2. Pour l’essentiel, il s’agit de documents issus de la série M, qui témoignent de la constitution au plan administratif des sociétés sportives: premiers statuts, membres fondateurs, déclarations en préfecture, parution au Journal officiel.

3. L’Académie François Bourdon, dont la vocation est de conserver, classer et valoriser les archives des Établissements Schneider du Creusot, possède notamment des documents renseignant sur l’implication du patronat creusotin dans l’organisation des loisirs sportifs de ses ouvriers.

4. Les archives de l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne, du Club olympique creusotin et de la société creusotine d’escrime L’Espérance, en particulier, complètent utilement le corpus en permettant de confirmer les informations d’ordre administratif. Elles offrent par ailleurs un éclairage sur les conditions de création des structures et sur leur quotidien (membres, activités, niveau d’activité, etc.).

5. Il s’agit de M. Audin, habitant du quartier montcellien du Bois-du-Verne et ancien membre et dirigeant de l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne, de M. Duc, ancien dirigeant de l’Union gymnique du Creusot, et de M. Besseyrias, président de la société Basket Montceau Bourgogne et familier de l’histoire du basket-ball à Montceau-les-Mines.

6. J.-W. Dereymez, « Aux origines du mouvement ouvrier et socialiste en Saône-et-Loire, fin xixe-début xxe siècles », La Physiophile, décembre 1982, p. 19–58. Sur Schneider, cf. C. Mathieu et D. Schneider (dir.), Les Schneider, Le Creusot: une famille, une entreprise, une ville (1836–1960), Paris, Fayard, 1995.

7. En cela, la situation au Creusot et à Montceau-les-Mines est assez représentative de celle de la Saône-et-Loire dans son ensemble. En effet, c’est au cours des décennies 1880 et 1890 que les trois quarts des sociétés sportives fondées dans le département avant 1914 voient le jour (P. Goujon, « La naissance des sociétés sportives en Saône-et-Loire avant 1914: la sociabilité sportive entre tradition et nouveauté », in P. Arnaud et J. Camy (dir.), La naissance du mouvement sportif associatif en France, sociabilités et formes de pratiques sportives, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1986, p. 199).

8. L’inventaire des sociétés sportives formées au Creusot et à Montceau-les-Mines de 1879 à 1939 proposé dans cet article est repris sous forme de tableau à la fin du texte. Il n’offre pas de garantie d’exhaustivité mais recense les principales associations des deux cités, celles qui auraient le plus marqué la vie des localités.

9. Archives départementales de Saône-et-Loire (AD S-L), M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 11 septembre 1891.

10. AD S-L, M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 9 août 1884.

11. AD S-L, M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 4 août 1894.

12. Pour désigner les différentes composantes du mouvement sportif, les distinctions s’établissent de façon générale entre sociétés neutres et sociétés affinitaires. Les premières ne revendiquent aucune obédience particulière. En revanche, au sein des fédérations sportives affinitaires, « l’adhésion repose essentiellement sur une affinité idéologique, que celle-ci soit à dominante politique, sociale ou religieuse » (M. Borrel, Sociologie d’une métamorphose, la FSGT entre société communiste et mouvement sportif, thèse de doctorat de sociologie, Institut d’études politiques de Paris, 1999, p. 5). On distingue notamment des structures affinitaires patronales, ouvrières, catholiques et laïques. Cf. F. Sabatier, « Mobilité affinitaire et mouvement sportif ouvrier: l’itinéraire de Rosette Guérard (1924–1950) », Le Mouvement Social, avril-juin 2006.

13. Définition des caractéristiques des « clubs d’entreprise patronaux » proposée par P. Tichit, Industrialisation et dynamique sociale de développement des activités physiques. Étude comparative de quatre communes du département du Nord: Anzin, Caudry, Denain, Saint-Amand-les-Eaux, 1901–1980, thèse de doctorat de STAPS, Université Paris XI, 1997, p. 68.

14. AD S-L, M 428, 1891–1900, statuts de l’association, 24 octobre 1891.

15. La Compagnie des mines est dirigée de 1833 à 1877 par Jules Chagot. Son neveu, Léonce Chagot, lui succède et gère l’entreprise jusqu’à sa mort en 1893. Son neveu, une fois encore, le remplace. Il s’agit de Lionel de Gournay. AD S-L, brochure Montceau-les-Mines a cent ans.

16. AD S-L, M 428, 1891–1900, statuts de l’association, 29 juin 1884.

17. Cette précision est apportée par P. Goujon, « La naissance des sociétés sportives en Saône-et-Loire… », art. cit., p. 211.

18. AD S-L, M 428, 1891–1900, statuts de l’association, 29 juin 1884.

19. Parmi d’autres: J.-W. Dereymez, « Aux origines du mouvement ouvrier et socialiste en Saône-et-Loire… », art. cit. ; R. Beaubernard, Montceau-les-Mines, un laboratoire social au xixe siècle, Avallon, Éditions de Civry, 1981 ; L. Griveau, Un exemple de concentration industrielle au XIXe siècle: Le Creusot et Montceau-les-Mines, 1835–1914, Le Creusot, Écomusée du Creusot, 1977 ; F. Portet, « Le Creusot, la ville technique, la société machine », Archives de l’OCS II, 1979, p. 205–243.

20. Sur la question du paternalisme, voir notamment G. Noiriel, « Du “patronage” au “paternalisme”: la restructuration des formes de domination de la main-d’œuvre ouvrière dans l’industrie métallurgique française », Le Mouvement Social, juillet-septembre 1988, p. 17–35, à confronter aujourd’hui à P.-D. Galloro, Ouvriers du fer, princes du vent. Histoire des flux de main-d’œuvre dans la sidérurgie lorraine (1880–1939), Metz, Éditions Serpenoise, 2001, J. Fombonne, Personnel et DRH: l’affirmation de la fonction personnel dans les entreprises (France, 1830–1946), Paris, Vuibert, 2001, et P. Lefebvre, L’invention de la grande entreprise. Travail, hiérarchie, marché (France, fin xviiie-début xxe siècle), Paris, PUF, 2003.

21. J.-W. Dereymez, « Aux origines du mouvement ouvrier et socialiste en Saône-et-Loire… », art. cit., p. 32. L’auteur renvoie ici à M. Sutet, Montceau-les-Mines. Essor d’une mine, naissance d’une ville, Roanne, Horvath, 1981, p. 179.

22. P. Fridenson, « Les ouvriers de l’automobile et le sport », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, septembre 1989, p. 50–62 parle de « paternalisme sportif ».

23. R. Parize, « Les militants ouvriers au Creusot pendant les grèves de 1899–1900 », Le Mouvement Social, avril-juin 1977, p. 97.

24. Roger Marchandeau et Louis Michel, parmi d’autres, font cette réflexion (R. Marchandeau, articles publiés dans le journal de l’association d’histoire locale La Mère en gueule ; L. Michel, « Le syndicalisme d’action directe à Montceau-les-Mines de 1900 à 1908 », La Physiophile, juin 1981, p. 3).

25. L. Michel, « Le syndicalisme d’action directe à Montceau-les-Mines… », art. cit., p. 3.

26. Chef-lieu de la région de Bourgogne et du département de la Côte-d’Or, limitrophe de la Saône-et-Loire. Dijon est située à une centaine de kilomètres de Montceau-les-Mines.

27. Interrogé sur les caractéristiques du quartier du Bois-du-Verne, un témoin indique spontanément: « Ici c’était les durs, ce qu’on appelle les durs… […] Brûler l’église, tout ça… Les gros coups se sont faits sur le Bois-du-Verne » (entretien avec Roger Audin, avril 1999).

28. L’auteur observe ainsi que certains ouvriers montcelliens, « exaspérés et ayant connu par lecture ou par ouï dire les méthodes préconisées par les anarchistes, se conduisirent comme tels » (J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste en France, 1880–1914, Paris, Maspero, 1975, p. 145). L’ouvrage de Jean Maitron fournit la description la plus détaillée des actions de la Bande noire. Par ailleurs, les faits évoqués dans ces lignes sont également relatés dans les journaux de l’association d’histoire locale La Mère en gueule, novembre 1998 et juin 2001.

29. F. Portet, « Systèmes associatifs et localité: l’exemple du Creusot », ATP Observation du changement social, 1982, p. 4–5.

30. AD S-L, M 430, 1901–1910.

31. « Les relations sociales entretenues en dehors de l’usine et de l’espace du logement sont […] soigneusement canalisées par l’inscription dans des sociétés dont l’encadrement était assuré par des dirigeants de l’usine » (F. Portet, « Systèmes associatifs et localité… », art. cit., p. 10).

32. L. Murard et P. Zylberman, Le petit travailleur infatigable ou le prolétaire régénéré (villes-usines, habitat et intimités au XIXe siècle), Recherches, novembre 1976, p. 101.

33. Les historiens s’intéressant à la cité du Creusot ont déjà souligné l’uniformité de ce territoire, voué tout entier à l’entreprise qui le fait vivre. F. Portet, « Le Creusot, la ville technique, la société machine », art. cit., p. 7, envisage ainsi la société creusotine comme « un système entièrement bouclé sur l’activité technique, [et] le travail ».

34. L’expression a déjà été utilisée par Lion Murard et Patrick Zylberman dans des réflexions similaires visant à définir le rôle assigné par le patronat aux jardins ouvriers (L. Murard et P. Zylberman, Le petit travailleur infatigable…, op. cit., p. 171).

35. F. Portet, « Systèmes associatifs et localité… », art. cit., p. 19, faisant référence à J. Kellerhals, Les associations dans l’enjeu démocratique, Paris, Payot, 1974. Il est possible de reconnaître ici une conception américaine du sport d’entreprise, dont P. Fridenson, « Les ouvriers de l’automobile et le sport », art. cit., p. 54 estime qu’elle touche le milieu français de l’industrie automobile de façon un peu plus tardive, au moment de la Première Guerre mondiale.

36. Archives de la société savante La Physiophile, Montceau-les-Mines, « Les limites du patronage libéral », texte non daté.

37. Idem.

38. P. Lucas, « Le travail gymnaste, rites mineurs du pays minier », Cahiers internationaux de sociologie, vol. LXIV, 1978, p. 99.

39. La plupart des auteurs observent chez les industriels qui développent des structures sportives d’entreprise le même type d’ambitions: P. Tichit, Industrialisation et dynamique sociale…, op. cit., p. 251 ; N. Kssis, « Le sport: un enjeu entre patrons et ouvriers dans la métallurgie parisienne entre les deux guerres », Mémoires d’usines: la métallurgie et les métallurgistes en banlieue aux XIXe et XXe siècles, 1999, p. 131.

40. Notice sur les institutions ouvrières des mines de Blanzy, rédigée en 1890 par Jules Chagot et citée par P. Lucas, « Le travail gymnaste… », art. cit., p. 94.

41. Sur l’histoire des cités du Creusot et de Montceau-les-Mines, au tournant du xixe et du xxe siècles et durant les premières décennies du xxe siècle, il faut consulter M. Perrot (dir.), Au pays de Schneider, Le Mouvement Social, avril-juin 1977, notamment P. Ponsot, « Organisation et action dans le mouvement ouvrier: réflexion sur le cas de Montceau-les-Mines au tournant du xixe et du xxe siècles », p. 11–22, M. Massard, « Syndicalisme et milieu social (1900–1940) », p. 23–38, P. Goujon, « Militants du mouvement ouvrier en Saône-et-Loire entre les deux guerres », p. 63–76, et R. Parize, « Les militants ouvriers au Creusot pendant les grèves de 1899–1900 », art. cit., et C. Mathieu et D. Schneider (dir.), Les Schneider…, op. cit.

42. P. Goujon, La Saône-et-Loire de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean d’Angély, Éditions Bordessoules, 1992, p. 353.

43. Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines, Les grèves, Montceau-les-Mines/Le Creusot, 1899–1901, Le Creusot, Écomusée, 2000, p. 45.

44. Jean Bouveri est ouvrier mineur et secrétaire-adjoint de la Chambre syndicale des ouvriers mineurs et similaires de Montceau-les-Mines (Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines, Les grèves, Montceau-les-Mines/Le Creusot, 1899–1901, op. cit., p. 45). Il sera maire de la ville durant vingt-sept ans.

45. Archives départementales de Saône-et-Loire, brochure Montceau-les-Mines a cent ans, déclaration de l’ingénieur Coste, p. 55.

46. Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines, Les grèves, Montceau-les-Mines/Le Creusot, 1899–1901, op. cit.

47. Ibid., p. 42.

48. Selon G. Noiriel, « Du “patronage” au “paternalisme”… », art. cit., p. 18.

49. AD S-L, M 430, 1901–1910, arrêtés de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation de sociétés, 23 mai 1901 et 27 juin 1901.

50. Ces installations, qui comprennent notamment un kiosque à musique, un théâtre guignol, des jeux de quilles et boules, un portique de gymnastique, un terrain de football et une piste d’entraînement réservée aux cyclistes, sont réunies dans un espace clos, le Parc Montporcher (Archives de l’Académie François Bourdon, dossiers 01 MDL 0129 et SS 0060).

51. Archives du Club olympique creusotin, brochure publiée à l’occasion du 100e anniversaire de la société.

52. Archives de l’Académie François Bourdon, dossiers 01 MDL 0129 et SS 0060.

53. F. Portet, « Systèmes associatifs et localités… », art. cit., p. 15, d’après des entretiens réalisés auprès d’anciens ingénieurs du Creusot.

54. AD S-L, M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 15 janvier 1899.

55. P. Goujon, « La naissance des sociétés sportives en Saône-et-Loire… », art. cit., p. 211. Lionel de Gournay est président d’honneur de cette structure (archives départementales de Saône-et-Loire, M 428, 1891–1900).

56. P. Lucas, « Le travail gymnaste… », art. cit., p. 92.

57. En France, les premières associations sportives formées par des ouvriers, directement liées aux organisations politiques de travailleurs et affichant clairement des ambitions idéologiques, sont créées en 1907. Ces structures sont rapidement réunies au sein de fédérations omnisports dites ouvrières ou travaillistes. Depuis 1934, ce mouvement est principalement incarné par la Fédération sportive et gymnique du travail.

58. À ce sujet, il faut remarquer que le sport ouvrier, en organisant la pratique de la gymnastique, concurrence le sport patronal sur son propre terrain. Les dirigeants du sport travailliste montcellien adoptent donc une stratégie différente de celle mise en lumière par P. Tichit, Industrialisation et dynamique sociale…, op. cit., p. 251 dans le cadre de plusieurs communes du département du Nord. L’auteur observe en effet: « Dans les choix de pratiques proposées, organiser la même chose que ce qui existe déjà condamne à faire mieux […]. Innover, proposer des pratiques non encore encadrées fut la logique des organisations syndicales, […] dépourvues de moyens ». Un tel phénomène s’explique certainement par l’attachement très fort des Montcelliens à la pratique de la gymnastique. Le rapport si particulier s’établissant entre la population laborieuse de la ville et l’activité de la gymnastique est étudié par P. Lucas, « Le travail gymnaste… », art. cit., dans une analyse qui signale les profondes analogies existant entre le travail minier et le « travail gymnaste ».

59. AD S-L, M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 21 septembre 1899.

60. AD S-L, M 428, 1891–1900, statuts de la société, 1er octobre 1899.

61. AD S-L, M 428, 1891–1900.

62. AD S-L, M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 9 octobre 1899.

63. AD S-L, M 428, 1891–1900, arrêté de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation d’une société, 4 octobre 1899.

64. L’Union sportive du parti socialiste, formée en 1907, se donne ainsi pour ambition de « donner aux jeunes gens des distractions saines et agréables » mais aussi d’« amener au parti [socialiste ] de jeunes camarades » (extraits des statuts de l’Union sportive du parti socialiste, cités par B. Delétang, « Le mouvement sportif ouvrier ou l’enjeu idéologique du sport », in P. Arnaud et J. Camy (dir.), La naissance du mouvement sportif associatif en France…, op. cit., p. 310.

65. « C’est cette double fonction d’expression d’une logique de lutte des classes et d’initiation à celle-ci qui caractérise les organisations sportives ouvrières » (A. Gounot, « Le “sport ouvrier” face au “sport bourgeois” ? Quelques réflexions terminologiques sur l’histoire idéologique des pratiques sportives », in J.-F. Loudcher, C. Vivier, P. Dietschy et J.-N. Renaud (dir.), Sport et idéologie, Besançon, Éditions Burs, 2004, p. 137–147).

66. La société Les Mineurs du Bois-du-Verne est fondée en janvier 1899, tandis que L’Avenir des enfants socialistes voit le jour en septembre 1899 (Archives départementales de Saône-et-Loire, M 428, 1891–1900, arrêtés de la préfecture de Saône-et-Loire portant autorisation de sociétés, 15 janvier 1899 et 21 septembre 1899).

67. P. Goujon, « La naissance des sociétés sportives en Saône-et-Loire… », art. cit., p. 210–212.

68. De telles conclusions rejoignent globalement les observations effectuées par s. Paoli, Le sport travailliste en France sous le Front populaire, 1934–1939, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Paris I, 1984, p. 3 lorsqu’elle souligne que la diffusion des activités sportives ouvrières s’effectue en priorité, au début du xxe siècle, dans les « bastions socialistes ».

69. En 1919, le mouvement syndical de Saône-et-Loire est assez actif. Le département compte onze syndicats CGT, qui rassemblent 12 694 personnes (A. Goirand, La scission syndicale de 1921 dans les villes de Chalon, Montceau et du Creusot, mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Bourgogne, 1999).

70. M. Massard, « Syndicalisme et milieu social (1900–1940) », art. cit., p. 23.

71. Le Socialiste de Saône-et-Loire, 24 novembre 1907, cité par J.-W. Dereymez, « Aux origines du mouvement ouvrier et socialiste en Saône-et-Loire… », art. cit., p. 51).

72. Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines, Les grèves, Montceau-les-Mines/Le Creusot, 1899–1901, op. cit., p. 43.

73. En 1924, Paul Faure, secrétaire général de la SFIO, ose défier le candidat Schneider dans son fief. De manière tout à fait inattendue, il est élu député de Saône-et-Loire, puis maire du Creusot l’année suivante (R. Marchandeau, « Paul Faure et le département de Saône-et-Loire », communication à l’occasion des journées d’études Un siècle de socialisme en Saône-et-Loire, 12–13 mai 2000, Montceau-les-Mines. Journées organisées par l’association ADIAMOS 71 avec le soutien de l’Institut d’Histoire Contemporaine, Université de Bourgogne, Dijon).

74. M. Massard, « Syndicalisme et milieu social (1900–1940) », art. cit., p. 31.

75. « Après 1900, Le Creusot entre dans la période oú l’autorité des Schneider ne sera pratiquement plus contestée pendant un demi-siècle. […] Pas une seule heure de grève n’est observée à l’époque du Front populaire » (Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines, Les grèves, Montceau-les-Mines/Le Creusot, 1899–1901, op. cit., p. 42–43).

76. La situation se prolonge d’ailleurs bien au-delà du conflit puisque la première affiliation d’un club creusotin à la Fédération sportive et gymnique du travail n’est enregistrée qu’en 1973 (il s’agit du Club sportif d’entreprises du Creusot, société omnisports formée en 1966).

77. À ce sujet, des enquêtes, relayées par le service des sports de la municipalité, ont notamment été menées auprès d’anciens acteurs du mouvement sportif local.

78. F. Portet, « Systèmes associatifs et localité… », art. cit., p. 4–5 affirme à propos des premières associations patronales du Creusot: « Leur organisation leur a permis (au moins pour toutes les plus importantes) de subsister jusqu’à aujourd’hui et même de demeurer les associations les plus importantes en nombre d’adhérents ».

79. À titre d’exemple, une lettre du président de L’Espérance adressée à Charles Schneider en décembre 1950 prouve que le recours au patronat local, en cas de difficultés, se poursuit même au-delà de la Seconde Guerre mondiale: « Nous souvenant de la sollicitude particulière accordée par votre famille et les établissements Schneider à la société d’escrime L’Espérance, nous nous permettons de vous mettre au courant de la situation créée par l’impossibilité qui nous est faite de recruter un maître d’armes » (archives de la société L’Espérance).

80. Archives du Club olympique creusotin, brochure publiée à l’occasion du 100e anniversaire de la société.

81. Entretien avec M. Duc, février 1999.

82. Association affiliée à la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France, organisation catholique fondée en 1903.

83. AD S-L, M 428, 1891–1900 et M 434.

84. M.-A. Charmelot et J.-C. Gautheron, Jadis… Montceau-les-Mines, Pont-de-Veyle, Imprimerie Gatheron, 1988 ; J. Danze et L. Bouteculet, De Louis Gauthier à Josiane Bost, cinquante ans de cyclisme montcellien, Perrecy-les-Forges, ASPEC, 1998.

85. Au-delà de leur création, ces associations ne laissent aucune trace, ni dans la presse, ni dans les archives de la commune et du département.

86. Entretien avec M. Besseyrias, avril 1999. La Lande est un quartier ouvrier de Montceau-les-Mines.

87. AD S-L, pr 30/11, La Dépêche Socialiste, novembre 1937.

88. Archives de l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne, copie de la déclaration officielle de la société à la sous-préfecture de Chalon-sur-Saône et copie de l’annonce au Journal Officiel, 1938.

89. L’association Montceau femina club est affiliée à l’Union française des œuvres laïques d’éducation physique, organisation fondée en 1928.

90. P. Lucas, « Le travail gymnaste… », art. cit., p. 92.

91. Il s’agit d’une société fondée en 1901 par le patronat.

92. J. Maitron (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, cédérom, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997.

93. Entretien avec Roger Audin, avril 1999.

94. Archives de l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne, historique de la société, 1998. L’historique est rédigé par une dirigeante à l’occasion du 60e anniversaire du groupement, à partir des témoignages d’anciens membres. Aujourd’hui, l’Élan gymnique Montceau Bois-du-Verne est l’une des plus importantes sociétés sportives de la cité. Elle est dotée de nombreuses sections, a changé plusieurs fois de locaux, et possède un palmarès prestigieux.

95. Le quartier du Bois-du-Verne a une position géographique particulière, toute symbolique: situé sur les hauteurs de Montceau-les-Mines, à la limite des zones rurales, il surplombe le centre-ville oú est installée La Montcellienne.

96. Entretien avec Roger Audin, avril 1999.

97. Pour plus de détails sur ce sujet: K. Bretin, Histoire du mouvement sportif ouvrier en Bourgogne: un autre regard sur les organisations sportives travaillistes (fin des années 1930-fin des années 1970), thèse de doctorat d’histoire, Université de Bourgogne, 2004.

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