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  • Je suis la révolution. Histoire d’une métaphore (1830–1975)
  • Nicolas Valazza (bio)
Laurent Jenny. Je suis la révolution. Histoire d’une métaphore (1830–1975). Paris: Belin, 2008. (Coll. « Extrême contemporain »). 222 pages. ISBN 9782701147741.

Après La Fin de l’intériorité, un essai sur l’avant-garde poétique paru en 2002, Laurent Jenny poursuit, dans son nouvel ouvrage, sa propre réécriture de l’histoire littéraire moderne, cette fois en s’appuyant sur la métaphore de la « révolution », telle quelle s’est affirmée poétiquement de 1830 à 1975. C’est donc au cœur même du fait littéraire – en l’occurrence métaphorique – que l’auteur inscrit son étude ; et la réussite du livre réside dans sa capacité à [End Page 958] élucider la portée proprement historique de cette métaphore, en particulier en ce qui concerne l’histoire des idées, ou plutôt des idéologies, selon une tradition spécifiquement française. Ainsi, Jenny allie une analyse stylistique adhérente aux textes étudiés à une connaissance approfondie des contextes historiques, pour démontrer le lien indissociable qui se tisse entre le littéraire et le politique dès la deuxième moitié du XIXe siècle. À ce propos, sa lecture du poème de Victor Hugo Réponse à un acte d’accusation, dans lequel il identifie la cristallisation poétique de l’événement révolutionnaire, est exemplaire. Elle montre comment, « dans l’esprit de Hugo, cette révolution s’associe étroitement à une lutte [...] contre la “rhétorique” », qui s’actualise dans l’émancipation du mot au dépens du « système des genres institué par la Poétique d’Aristote et repris par le classicisme » (35), au point d’instituer une « République des mots » se substituant à l’ancienne « République des Lettres ». Cependant, cette « autonomatisation du mot », résultant du geste poétique hugolien, n’est pas exempte d’une certaine « terreur » qui menace de se répandre dans les Lettres, et qui se trouve déjà impliquée dans le « débordement » inhérent à la « révolution » selon Hugo, issu de ce que Jenny décrit comme un « matérialisme océanique » dans lequel le poète court le risque d’être lui-même englouti (43–46). Se dessine ainsi l’ambivalence d’une métaphore révolutionnaire qui caractérisera dorénavant l’évolution des formes poétiques s’y rattachant, entre un élan novateur déterminant la création de ces mêmes formes, et les forces désagrégeantes qui tendront vers la « disparition élocutoire du poète », voire à la « mort de l’auteur ». De fait, Barthes remarquera que « Cette faim du Mot, commune à toute la Poésie moderne, fait de la parole poétique une parole terrible et inhumaine » (164).

Après avoir retracé l’émergence de la métaphore révolutionnaire chez Hugo, Jenny s’intéresse à sa récupération par les surréalistes. À ce sujet, il constate que, notamment chez Breton, la « révolution » devient une notion politiquement inerte (« les fondements mêmes de la théorie surréaliste exposés dans le Manifeste interdisent au mouvement toute perspective d’action concrète » [66]), au point de s’identifier au suicide (« Le suicide n’est pas seulement la solution, il est aussi la Révolution » [87]). L’opération effectuée par Breton dans Les Vases communicants consiste à « surréaliser la révolution » (101), en la projetant dans la sphère de l’inconscient freudien, afin de préparer l’émancipation du sujet, à défaut d’efficacité politique. Désespérant de se faire reconnaître par le Parti communiste « comme la plus authentique littérature révolutionnaire » (91), le surréalisme se réfugie ainsi dans la dimension onirique pour y mener une révolution de l’inconscient, assimilée projectivement à la révolution prolétarienne : « À l’horizon du surréalisme de Breton, il y aurait la liquidation révolutionnaire de l’inconscient – analogue dans son ordre à l’abolition de la lutte des classes – tous les désirs ayant accédé à une parousie par le biais...

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