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  • Du discours médical dans A la recherche du temps perdu: Science et souffrance
  • Yaëlle Azagury
Wright, Donald . Du discours médical dans A la recherche du temps perdu: Science et souffrance. Paris: Éditions Honoré Champion, 2007. Pp. 464. ISBN 9-7827-4531-376-8

Notant l'importance du plaisir et plus particulièrement de la souffrance dans À la recherche du temps perdu, Donald Wright explore dans une rigoureuse étude le discours scientifique et médical de l'époque lui servant de fondation. Il se sert d'une approche intertextuelle pour montrer comment Proust utilise le discours médical contemporain en incorporant dans son roman des textes scientifiques antérieurs sous forme d'allusion ou de plagiat, puis procède à une confrontation féconde entre le texte premier et le texte second (La Recherche). Tantôt épousant fidèlement ses sources, tantôt s'en distanciant jusqu'à en prendre le contrepied, les fluctuations du texte proustien sont analysées à l'aide d'un vaste arsenal de connaissances scientifiques et médicales de l'époque: Morel, Ribot, Ravaisson, Charcot, Brissaud, Adrien Proust, Gilbert Ballet . . .

Dans une première partie, Donald Wright s'attache à montrer la convergence et la rivalité entre "science et fiction" pendant la IIIe République, moment charnière dans l'histoire de l'élaboration scientifique. Il s'appuie d'abord sur une étude lexicographique [End Page 176] en examinant les emprunts sémantiques aux sciences dans le texte proustien. Proust puise dans le discours scientifique contemporain en utilisant des mots tels que manie, folie, hystérie, inversion. Le mot "manie" par exemple apparaît vingt fois dans la Recherche. Or Donald Wright montre que ce terme se déleste de son sens religieux antérieur grâce à Bénédict Morel pour se doter d'un statut exclusivement psychique. Proust dialogue avec le sens antérieur des mots tout en s'en servant dans le sens contemporain. Wright remarque ce dialogisme sémantique dans l'emploi de termes créés au xixe siècle tels que "sadisme" et "masochisme" que Proust pourvoit d'un sens scientifique tiré de Krafft-Ebing mais également d'un sens vulgaire, flou et imprécis.

On passe ensuite à un examen des maladies modernes telles que la neurasthénie et les troubles de l'habitude. A propos de l'habitude, Proust souscrit largement aux thèses de Félix Ravaisson dans De l'habitude (1898), qui estime que "la considération de l'habitude est un des éléments les plus importants de l'hygiène, du diagnostic et de la thérapeutique." Proust est également influencé par les thèses de Charcot sur la décoration. Pour prévenir le développement des maladies nerveuses auxquelles donne naissance la frénésie de la ville moderne, Charcot préconise un intérieur calme et serein adapté au repos de l'esprit. A propos de l'asthme dont lui-même souffrait, Proust se dissocie dans sa correspondance de l'opinion de Brissaud qui lui attribue une origine nerveuse, en faisant une mesure de la santé mentale de l'individu. Néanmoins, à propos de l'asthme, la rigueur scientifique du temps inspirée de Gilbert Ballet et de Krafft-Ebing se rencontre partout dans le roman. "Croire à la médecine serait la plus grande folie, si ne pas y croire n'en était pas une plus grande," la formule résume bien l'ambivalence de Proust à l'égard du discours médical. L'ironie est manifeste dans certains passages de la Recherche où la précision de la nosographie médicale n'a d'égal que l'absurdité de la cure prescrite par le médecin spécialiste-il recommande au narrateur souffrant d'asthme l'ingestion de lait, par exemple. L'étude de la maladie mentale (hystérie, neurasthénie) est dérivée quant à elle des médecins du temps (Jules Cotard, Gilbert Ballet) tout comme ses traitements (l'hygiène physique et morale préconisée par le docteur Fulgence Raymond). Dans sa description de Mlle Vinteuil, Proust, comme eux, souligne sous couvert d'un idiolecte campagnard attribuable à Françoise, l'importance de la dég...

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