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Reviewed by:
  • Pour Sade
  • Svein-Eirik Fauskevåg
Norbert Sclippa . Pour Sade. Paris: L'Harmattan, 2006. 150pp. €14. ISBN 978-2-296-01925-6.

L'heure est à une réévaluation de l'actualité culturelle et historique de «l'abominable» Marquis de Sade et de son œeuvre, cette« œuvre carrément hors du commun», comme le souligne Michel Delon dans Sade en son temps, Sade après Sade, premier tome de ses Vies de Sade (2007). De son côté, Norbert Sclippa, dans son Pour Sade, souligne, dans la partie obscène de l'œuvre de Sade, l'exemplarité d'une pensée absolue qui s'exprime librement. Sclippa tente de montrer qu'au moment de renoncer à l'idéal chrétien, à la transcendance, Sade élabore une pensée absolue qui se fait partie intégrante d'une expérience totale, souveraine, de l'être comme immanence pleine. De cette façon, la pensée [End Page 184] sadienne consisterait dans une expérience de ce qu'à plusieurs reprises Sclippa nomme «l'être Un», se faisant identique à «tout et [à] rien à la fois» (57). Sclippa en déduit une pensée qui ouvre «la possibilité de toutes les actualités, et l'actualité de toutes les possibilités» (56).

Pour établir cette actualité de Sade, Sclippa voit dans l'œuvre du Marquis une fiction révélatrice de la conscience subjective érigée en miroir parfait de la matière indifférenciée et du mouvement naturel. Pour Sade nous propose ainsi une lecture spéculative qui sort de la grille d'une interprétation strictement universitaire, pour se rapprocher d'une lecture quasi «hagiographique» de Sade qui nous rappelle celle pratiquée par certains surréalistes. D'un autre côté, cette lecture me semble parallèle à l'interprétation proposée par Pierre Klossowski dans son livre Sade mon prochain (1947): alors que, dans l'œuvre sadienne, Klossowski voit, dissimulée dans la négation tenace et athée du Créateur, une affirmation paradoxale de l'existence de Dieu, Sclippa découvre, dans le matérialisme et l'athéisme sadiens, le négatif qui fait jaillir la réalité une et universelle.

Il s'agit pour l'auteur d'une révélation, celle d'une circularité de l'être et du non-être, si bien que la destruction, les orgies et la négation divulguent un contact non aliéné que l'homme entretient avec la nature: la négativité apparaît comme un savoir puisé dans la «monstrueuse nécessité» (122) inhérente à l'être. C'est là une révélation qui, aux yeux de Sclippa, comporte une «connaissance de l'être total» (29), proche de la pensée moniste du taoïsme et du bouddhisme Zen, proche encore du monisme de Parménide et de Spinoza (62), voire de «la physique d'Einstein» (124). Sclippa fonde donc l'actualité de Sade sur une métaphysique qui, à mon sens, n'est pas simplement une spéculation ontologique, car elle frise le mysticisme comme approche de la réalité absolue.

À peine s'attendait-on au XXIe siècle à un tel panégyrique de la pensée absolue, postulée comme conscience unifiante. Car Sclippa ne se fait pas faute de magnifier cette pensée qui, à ses yeux, surmonte la hiérarchie des valeurs éthiques et chrétiennes, permettant à l'imagination de se dépasser pour atteindre «la vraie liberté» (122). À l'instar des surréalistes qui avaient vu en Sade le grand libérateur dont la raison violente et brillante battait en brèche toutes les bastilles existentielles, intellectuelles et émotives, Sclippa prend à tâche d'associer l'actualité de Sade à une liberté qui «nous désoriente [...] par un renversement de toutes les valeurs» (11). Sade nous montrerait en effet que tout ce qui peut exister est nécessairement soumis à ce qui dévie (le mot «clinamen» revient souvent sous la plume de Sclippa). La preuve en est, nous assure Pour Sade, que la liberté ne peut pas vraiment être ellemême sans s'épanouir—non seulement dans le relatif—mais encore dans la négativité que constituent le crime, la destruction et le meurtre...

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