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  • Poésie
  • Daniel Gagnon

C'est sans nul doute au gré des premiè res saisies de mots entre la page et les yeux, où la vue se dégage souvent d'une manière admirable sur la plage du poème, sur la rivière de ses mots et l'immensité de la forêt de son sens, que l'on est le mieux à même de trouver la petite beauté cachée, le cadeau obscur qui épate et qui touche. En 2006, plus d'une centaine de recueils ont sollicité un lectorat toujours assoiffé de voix nouvelles. C'est une production abondante, mais inégale. Quelques vieilles maisons ont l'air de se radicaliser, s'activent, impriment, discourent sans fin, mais cette poésie convenable, tout en agréments, laisse l'impression que le surcroît de peaufinage ne cherche qu'à dissimuler la dépression d'un art essoufflé, vidé. Des voix reconnues continuent à nous attendrir, comme celles de François Charron, d'Hélène Dorion, de Jean-Paul Daoust, de Yolande Villemaire, de Sylvain Rivière, mais c'est plutôt du cô té des jeunes éditeurs, chez les Poètes de Brousse, chez le Quartanier, ou encore chez des éditeurs acadiens, comme les É ditions Perce-Neige, qu'il faudrait chercher une poésie vigoureuse, capable encore de surprendre, d'émouvoir et de nous désennuyer de nos alignements de barriques de la certitude où plus rien, où plus aucune alchimie ne fait merveille.

Production serrée, cernée par la mer francophone, où les livres étranglés entre les petites maisons d'édition se faufilent dans l'ombre des grands éditeurs. Production qui tranche, ù l'ancienne et la nouvelle poésie s'affrontent. L'ancienne évoque l'identité avec laquelle elle a dialogué tout au long de son histoire. Au quadrillage rigoureux des anciens, la jeune poésie oppose un visage attachant, dédié aux affaires de la vie, au commerce des hommes et des femmes, aux vitrines de la communication. É légante ou pas, elle se jette dans une activité qui fait [End Page 510] mentir le cliché d'une poésie narcissique, sinistre ou mélancolique, encline à la désespérance et au désabusement. Plutô t que de suivre ce cortège funèbre, la jeune poésie veut reprendre ses droits sensuels, expressifs, sur le front du réel. Elle a rendez-vous avec l'engouement pour réciter encore, après l'effondrement des tours jumelles, jusque dans le délire pour quelques bonheurs de lecture imprévus en ces temps troublés.

Corps de Douleur et de Jouissance

Parmi les grands sujets qui inspirent, le corps persiste et signe, corps de femmes, corps d'hommes, corps amoureux, corps perdus. Visages de Marie, de Frédérique Marleau, nous plonge dans l'univers de la prostitution. Le recueil est composé d'îles de poèmes unis en chapelet dans un grand fleuve de misère noire sans berges : « nous circulons dans nos artères / de connivence avec le vent ». Dans ces espaces, hors des lieux amphibies, émergent les vestiges d'une voix de gorge rauque qui crie son opposition à la rectitude qui la tue : « oui je sais / j'écris en marchant des vers d'acier / la solitude m'inspire des univers carnassiers / peuplés d'horribles enfants fragiles ». Marleau siffle et crache des parcelles de texte du haut de sa corniche en surplomb sur nos ruelles rectilignes : « ma volonté d'obus percutant / obsédée par l'éclatement / de mon sang dans le ciel ». La poétesse aime les escarpements que limite une bande de poèmes produisant un alcool racé, nerveux. Marleau vient du no man's land désolé du pays des verges qui convergent : « je n'ai de cesse de penser à ta verge turgescente ». Aujourd'hui couverte de poèmes, elle refuse le martyre et écrit dans la tempête, pour le plus grand plaisir des naturistes surfeurs : « assoiffée d'orgies et d'agapes / la marée humaine me rattrape /je surfe l'écume aux cuisses / jusqu'à ta retraite mediumnique ».

Dans Le rayonnement des corps noirs, le ciseau de Kim Doré dégage de la pierre quelques...

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