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  • La littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations
Dominique Viart et Bruno Vercier. La littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations. Paris: Bordas, 2005. 512 pp.

Tôt ou tard, il fallait que Bordas tirât un trait sur l'histoire littéraire à l'ancienne, discours scolaire où se mêlaient extraits de lecture, renseignements biographiques et force chronologies. Si le présent ouvrage est issu, comme les Lagarde et Michard d'antan, d'un travail en tandem, il n'a rien d'un manuel: s'y affirme en permanence la volonté de parier sur le contemporain et de transmettre, plutôt qu'un savoir tout fait, le goÛt de la lecture.

Prétendre embrasser vingt-cinq ans de littérature, toutes catégories confondues, relèverait de l'impossible: or, n'intéressera les auteurs que la seule littérature déconcertante. Selon Viart, trois tendances se partagent le monde de l'édition: d'abord, une littérature consentante [End Page 162] qui, indifférente aux débats esthétiques, propose des fictions d'agrément "sans âge" au moyen d'ingrédients convenus; ensuite, une littérature concertante éprise de sujets dans le vent (sexe, violence, re-sexe . . .) et taillée pour les plateaux de télévision et la course aux prix; enfin, une littérature déconcertante, pour laquelle l'écriture ne saurait être une donnée, mais devient "activité critique" revêche à tout "prêt-à-penser" culturel (p. 8–10). Si les deux premières tendances tiennent de l'artisanat et du commerce, seule la troisième relève de l'art, puisqu'elle sait traduire les états changeants du monde et de la conscience par des "syntaxes improbables" (p. 11). Sans partis-pris idéologiques, Viart et Vercier tâchent de situer et de faire entendre—au moyen d'une soixantaine d'échantillons de lecture—des auteurs ayant contribué à vitaliser le paysage littéraire contemporain.

Sont pris en compte ceux et celles dont l'oeuvre est publiée et reçue majoritairement en France, DOM-TOM compris: mesure judicieuse que justifient et les particularismes géographiques des littératures francophones et la mainmise éditoriale de Paris. Par "présent," il faut entendre tout ce qui se publie depuis 1980, date associée par Viart à la fin des "grands récits" (Lyotard) et au "retour du sujet" après les lénifiantes années de soupçon, mais aussi à un renouveau générationnel. Ce qui unifie cette littérature est sa lucidité face au monde—intersubjectif, historique, matériel—, son souci de se donner un objet autre qu'elle-même (elle est "transitive" [p. 14]) et une langue qui, plate ou biscornue, peu diserte ou excessive, se préserve tant du formalisme que de l'idéalisme pré-critique. S'il arrive que des écrivains reprennent des formes anciennes (roman d'aventures, récit de voyage, élégie), c'est donc pour exercer sur elles un regard distancié, interrogateur. Aucune naïveté dans l'autofiction, le témoignage ou le néolyrisme, mais une même reconnaissance des acquis théoriques hérités des sciences humaines à partir des années 1960.

L'organisation de l'ouvrage reflète la diversité des thèmes et genres en vigueur: si les écritures de soi, de la mémoire collective (les guerres mondiales, les camps) ou du fait divers semblent se tailler la part belle dans cette ère éprise d'histoire(s), l'intermédialité, le ludisme romanesque ou le collage poétique n'en sont pas moins représentatifs. Écoles et mouvements ont par ailleurs perdu de leur pertinence; comptent surtout les créateurs individuels, que l'on ne saurait classer dans un "palmarès" tant leurs pratiques divergent. Le [End Page 163] lecteur averti trouvera tel traitement trop rapide ou insuffisamment théorisé—c'est le cas de l'écriture des "communautés" (roman beur, roman homosexuel) ou du roman policier, genre qui se vend mieux qu'il ne s'écrit apparamment malgré sa cote chez les pasticheurs post-modernes. Toutefois, l'ensemble demeure d'une grande impartialité: presque tous les auteurs gagnent au jeu qui est le leur.

Dans un ouvrage autrement sans fausses notes, la partie VII, consacrée au théâtre, risque d'étonner. On pouvait déjà regretter que plus de place ne soit dévolue à la poésie, tant les observations de Viart sur le lyrisme critique ou le prosaïsme sonnent juste. Mais les trentetrois pages confiées au spécialiste de théâtre Franck Evrard sont simplement insuffisantes et renforcent le divorce entre littérature et théâtre que l'auteur souhaitait combattre. Dans un style qui sacrifie parfois aux poncifs de l'histoire littéraire, Evrard s'attarde sur les contraintes institutionnelles qui pèsent sur les auteurs dramatiques depuis que le metteur en scène est roi, laissant peut-être trop paraître les marques du présent de la rédaction (voir les mentions du Festival d'Avignon 2004) là où Viart et Vercier émettent des jugements historiques synthétiques à base d'exemples.

Ces réserves à part, La littérature française au présent est une formidable invitation à la découverte: l'index répertorie près de 900 noms propres (!). On savait que cette littérature française, qui ne croit plus au mythe du "grand écrivain", ne manquait pas d'invention. En voici la preuve incontournable. [End Page 164]

Derek Schilling
Rutgers University

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