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  • Théâtralisation d'Artaud des deux côtés de l'AtlantiqueDessins et autoportraits dans les discours contemporains
  • Martine Antle

Artaud nous a légué une oeuvre forte, parfois violente, qui déborde largement dans le culturel et dont la dimension politique reste encore à être révélée. Le corps, au sens physique tout autant qu'au sens métaphorique du terme, et son langage, est devenu lieu de combat chez Artaud. C'est ainsi qu'il a pris un fragment de corps, la tête, et qu'il en a fait l'emblème de la stérilité du rationalisme occidental et des séparations qu'il impose entre le corps et l'esprit: "une tête d'Européen d'aujourd'hui est une cave où bougent des simulacres sans forces, que l'Europe prend pour ses pensées."1

Tandis que le corps chez Artaud est indissociable du politique, la dimension politique qui se dégage des corps représentés dans ses dessins demeure curieusement occultée jusqu'à nos jours et jusqu'au cinquante et unième anniversaire de sa mort. Comme nous allons le voir au travers des discours critiques portant sur les dessins d'Artaud en France tout autant qu'aux Etats-Unis, l'oeuvre picturale d'Artaud demeure soit profondément ancrée dans le biographique soit immédiatement rattachée à son oeuvre écrite.2

Commençons le parcours des discours qui s'articulent autour de l'oeuvre picturale d'Artaud avec l'exposition qui lui a été consacrée au musée MOMA à New York en 1996 .

Cette première exposition des dessins d'Artaud aux Etats-Unis a donné l'occasion de repenser la réception d'Artaud en territoire Américain.3 Parmi les textes et les comptes rendus qui on été consacrés à l'exposition des dessins Artaud à New York en 1996, une tendance [End Page 81] principale se distingue. Cette tendance principale a recours au discours clinique et se manifeste par une insistance à stigmatiser (ou à mettre en gros plan) la douleur et la maladie chez Artaud à partir de ses autoportraits et de ses dessins. Déjà en 1944, une des légendes anonymes accompagnant un des autoportraits d'Artaud constituait un exemple éloquent de ce discours diagnostic: "Autoportraits d'Antonin Artaud faits à Rodez en 1944 et marquant de façon saisissante les hallucinations tactiles et cénesthésiques."4 Et presque six décennies plus tard à New York, les dessins d'Artaud semblent toujours prisonniers d'une lecture nosographique et mettent en gros plan les mythes d'Artaud par le biais du biographique.

La mise en place des dessins d'Artaud au Musée d'Art Moderne de New York (MOMA) en 1996 était à elle seule révélatrice. Le musée a révélé son autre face, celui de la prison car l'institution muséale s'est calquée sur l'institution psychiatrique. En effet, la conceptualisation de l'espace de l'exposition visait délibérément à cadrer l'oeuvre d'Artaud d'un point de vue biographique/clinique en contrastant deux portraits d'Artaud réalisés à environ trente ans d'intervalle dès l'entrée de l'exposition: le premier, une photographie de jeunesse prise par Man Ray en 1915, et le deuxième un autoportrait d'Artaud réalisé en 1946 à la sortie de Rodez. La distance temporelle et le travail de mise en scène de cette exposition ont accentué, comme dans les médias, une lecture émotionnelle, et donc subjective, des portraits d'Artaud basée sur l'effet de contraste entre jeunesse/décrépitude, figure saine/figure malade. Le choc produit par ces deux portraits dès l'entrée de l'exposition dramatisait donc ouvertement l'expérience asilaire et la maladie mentale et participait au mythe d'Artaud, c'està dire au mythe du fou. Ainsi présentée, la muséification d'Artaud ne faisait guère appel à une expérience esthétique et favorisait de nouvelles formes de jugements cliniques.

Ce procédé, qui repose sur l'exploitation de l'élément sensationnel, se retrouve de même aujourd'hui...

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