La Poesie de Sainte-Beuve: Un Imaginaire de l'echec (review)

Huet-Brichard, Marie-Catherine. La Poésie de Sainte-Beuve: Un Imaginaire de l'échec. Cahier Romantique no 4- Clermont-Ferrand: Presses Universitaires Blaise Pascal, 1999. Pp. 250. ISBN 2-910875-09-1

Le livre de M.-C. Huet-Brichard s'ajoute avec bonheur aux ouvrages critiques, anthologies, rééditions et colloques qui indiquent ces dernières décennies, un regain d'intérêt pour l'œuvre de Sainte-Beuve, rectifiant de la sorte la disgrâce dans laquelle elle fut tenue jusqu'alors. Et puisque cette réhabilitation concerne surtout l'œuvre du critique, une recherche sur la poésie est d'autant plus bienvenue. D'ailleurs, l'auteur de ce livre, comme pour mieux déclarer son indépendance par rapport à l'exégèse d'autrui, utilise au minimum les sources bibliographiques disponibles, tout en accordant peu d'attention au rituel de l'apparat critique, même si, avouons-le, la "petite" bibliographie finale et le manque d'un index des noms et des sujets nous laissent un peu sur notre soif.

M.-C. Huet-Brichard se fixe, dès le début, des objectifs bien précis: relire autrement le recueil Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, publié en 1829, et redéfinir à travers ce "livre testament" les rapports conflictuels de Sainte-Beuve avec l'écriture poétique. En effet l'histoire tragique du poète Joseph Delorme, qui se suicide laissant derrière lui des vers et des pensées, constitue un riche matériel sur la création poétique. La recherche du "pourquoi" de la poétique demande une double investigation des projets avoués et inavoués de Sainte-Beuve, ces derniers étant favorisés, car, dit M.-C. Huet-Brichard, c'est surtout la part d'ombre du texte qui cache "le secret," qui est aussi "la clé" de l'œuvre. Et si cette dernière formule fait allusion explicite à la théorie critique de prédilection de Sainte-Beuve, celle qui retrouvait dans la vie "la clé" d'un auteur, elle annonce cette fois le revers de la méthode car tout s'inscrit et s'écrit dans le texte.

Le livre est divisé en trois parties, centrées sur la problématique de l'échec: les causes de l'échec dans le devenir poétique de Sainte-Beuve; l'imaginaire de l'échec tel qu'il découle de l'analyse du recueil; les conséquences de l'échec poétique pour Sainte-Beuve. Placer exclusivement le recueil sous le signe de l'échec demande quand même un appel à la modération car il ne faut surtout pas oublier le rôle éminent du "Cénacle de Joseph Delorme" au cadre du romantisme (rôle souligné par G. Antoine, P. Bénichou, J.-L. Diaz). Et d'ailleurs, comme l'indique P. Barbéris (1969) et P. Bénichou (1992), les artistes des années 1830 sont tous obsédés par l'échec poétique et par les poètes à destinée tragique, Sainte-Beuve lui-même s'inspirant pour son Joseph Delorme de la figure du poète anglais Kirke White.

Le recours à "l'inconscient du texte" devient sans conteste la méthode la plus efficace pour détecter et expliquer l'échec de l'aventure littéraire de Joseph Delorme, le poète fictionnel, et de Sainte-Beuve, son auteur. Et pourtant ce va-et-vient des conflits psychiques et textuels aurait besoin de garde-fou. De quel inconscient s'agirait-il? Comme on le sait depuis Les travaux de Jean Bellemin-Noël, l'inconscient du texte est une formule ambiguë, l'absence de l'auteur cédant la place à des éléments d'une grille de lecture établie a priori.

Mais une fois acceptée la règle du jeu, on est vivement entraîné par la...