Balzac dans le texte: Etudes de génétique et de sociocritique (review)

'Confronter l'historicité de l'écriture [balzacienne] et celle de la première moitié du XIX^e siècle': tel est le propos de Pierre Laforgue malgré un titre indexant plutôt une étude de poétique. Le cadre théorique adopté programme une articulation de l'étude du texte et de son historicité, de l'historicité du - et dans - le texte: la sociocritique vise à conjuguer poétique et critique idéologique en étudiant la relation à l'histoire à partir du texte même, et en incluant l'histoire de l'écriture et de la publication, une macrogénétique donc. Cette perspective théorique est fortement affirmée et reprise dans chacun des huit chapitres. Le livre se présente comme un recueil d'articles unis par la notion d'historicité, et regroupés en quatre parties aux titres théoriques: Texte et auteur, Génétique, Sociocritique et poétique, Sociogénétique et idéologie. Six de ces chapitres prennent pour objet un roman de Balzac choisi parmi les moins explorés. Seule exception: l'analyse de La Peau de chagrin qui, contrairement à une logique historienne, se fonde sur le texte du Furne corrigé et non sur celui de l'édition originale. L'étude d'Un début dans la vie souligne la confrontation de deux époques de la Restauration et de la Monarchie de juillet qui décrit comme négatif le mouvement de l'histoire. Celle d'Ursule Mirouët porte sur l'opposition entre un matérialisme méprisable et un spiritualisme qui puise sa force dans le matérialisme et le magnétisme, et s'attache aux jeux de l'ironie et du calembour. La lecture de la 'signification historique et politiquè de La Femme abandonnée interprète les signes d'historicité: chronologie, personnage de Mme de Beauséant et sa mélancolie. De même, une sociopoétique du Contrat de mariage étudie les métaphores du pouvoir et les figures royales: Laforgue y voit une inscription symbolique de 'l'échec historique et politique de la Restauration', qui est, comme le mariage, la cible des critiques de de Marsay. A ce personnage reparaissant, est consacrée en outre une trè s pertinente étude génétique, qui suit son apparition et ses mutations dans le texte des romans. Le dernier chapitre, lui, porte sur L'Envers de l'histoire contemporaine , 'roman' étrange, contrepoint à l'Histoire des Treize. Partant de sa genèse singulière, Laforgue s'interroge sur la relation entre histoire, révolution (historique ou sociale) et charité, et sur la cohérence problématique, en particulier sur le plan idéologique, de ce texte composite. Le premier chapitre, enfin, consacré à l'inscription de la signature de l'auteur dans le texte et de sa figure dans quelques scénarios romanesques, propose une riche synthèse sur la question de l'identité d'écrivain de Balzac, à laquelle manque seulement la prise en compte des préfaces des premiers romans. Toutes ces analyses témoignent remarquablement du souci de ne pas réduire l'interprétation des signes d'historicité, de tenir ensemble aussi bien le texte que ses conditions de possibilités, grâce aux notions de co-texte ou de référence. On peut sans doute regretter certaines répétitions des présupposés théoriques ou au contraire le caractère allusif de certaines notions, mais on ne peut qu'apprécier l'explicitation et la pertinence des choix théoriques de Laforgue.