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  • Alain de Roucy et la voix anonyme de La Chanson de la Croisade Albigeoise
  • Paul S. Linden

"On ne peut indéfiniment tromper le monde.
Tout menteur, un beau jour, tombe en ses propres pièges
et son hypocrisie éclate aux yeux de tous.
Bref. De toute façon l'on se sent toujours mieux
dans la peau du trahi que dans celle du traître."1

-Dragonet le preux

La Chanson de la Croisade Albigeoise, écrite entre 1212 et 1219, est le produit de deux auteurs successifs: Guillaume de Tudèle et un autre écrivain resté anonyme. Ces deux auteurs écrivent non seulement à chaud, mais ils sont partisans de factions opposées: Guillaume de Tudèle soutient la position des croisés français alors que l'auteur anonyme montre la perspective méridionale. Loin d'amoindrir la différence entre les deux perspectives comme l'a fait Michel Zink, cette étude considère au contraire l'anonymat comme une stratégie qui souligne les rapports entre la Chanson et un champ de bataille.2 Notons comment l'Anonyme s'attaque aux valeurs mises en place par Guillaume de Tudèle en manipulant les mots proférés par le baron croisé Alain de Roucy lors des épisodes de conseil (où l'un des chefs militaires demande l'avis de ses barons pour prendre une décision). Cependant, si l'on interprète l'anonymat lui-même comme une ruse qui veut tromper par son caractère indirect, il faudrait réconcilier le mode de discours avec ses propres valeurs. Autrement dit, le désaccord qui résulte de l'emploi de l'anonymat pour critiquer le style indirect de ses ennemis risque de faire tomber ce deuxième auteur dans son propre piège.

Données historiques et remarques sur le style des deux auteurs

Suivant qu'on lit la première ou la deuxième partie du texte, La Chanson de la Croisade Albigeoise raconte la conquête du Midi par [End Page 1] le Comte Simon de Montfort ou bien la reconquête de ces terres par Raymond VI (1156–1222) puis Raymond VII (1197–1249), les deux derniers comtes de Toulouse. Que ces deux auteurs aient écrit pendant deux périodes différentes s'explique par la chronologie de la croisade.3 Guillaume de Tudèle s'occupe du commencement de la croisade où les croisés rencontrèrent leurs plus grands succès, alors que l'auteur anonyme témoigne d'une deuxième période où les méridionaux célébraient leurs plus grandes victoires. Ce sont donc les idéologies successives des deux auteurs qui influent non seulement sur le choix de représenter tel ou tel événement historique mais aussi sur la manière spécifique avec laquelle chaque auteur représente le même événement historique. Par exemple, après avoir lancé la croisade, le pape Innocent III donne à Simon de Montfort le choix de prendre possession des terres du Midi. Mais, le comte hésite. Or, si Guillaume peint Simon en héros guéri d'une réticence initiale, pour l'Anonyme, cette réticence prend la proportion d'un doute persistant chez Simon. Il s'ensuit alors que le chef des croisés est successivement protagoniste et antagoniste selon l'évolution du texte.

Si l'opposition des deux auteurs saute aux yeux, il faut quand même aborder la question de l'anonymat en tant qu'il semble empêcher une telle distinction. Dans son Introduction à l'édition bilingue de La Chanson de la Croisade Albigeoise, Michel Zink s'intéresse ainsi à la continuité de l'œuvre.

L'Anonyme ne croit pas nécessaire de souligner que l'auteur change à partir de la laisse 131, qu'il n'est plus Guillaume de Tudèle qui s'est présenté dans les laisses 1 et 9, que le je qui intervient pour s'indigner qu'on puisse considérer Simon de Montfort comme un saint et un martyr n'est pas le même que celui qui se réjouit des bûchers dressés pour les hérétiques [. . .].4

Zink répond...

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