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  • Proustiens, encore un effort . . . !La déconstruction de l’inceste maternel dans A La Recherche du Temps Perdu
  • Giuseppina Mecchia

Je voulais couvrir ma mère de baisers et qu'il n'y ait point de vêtements. Elle m'aimait à la passion et m'embrassait souvent, je lui rendais ses baisers avec un tel feu qu'elle était souvent obligée de s'en aller.

Stendhal, La Vie d'Henry Brûlard

Cela fait plus de trente ans que Gilles Deleuze et Félix Guattari se sont acharnés à détruire "l'Œdipe" et le théâtre qu'il impose aux protagonistes de l'échange familial comme scène fondamentale de l'inconscient, mais si on devait en juger par la critique proustienne, il ne semblerait pas qu'on s'en soit aperçu. La critique "queer," il est vrai, a très bien saisi l'importance de la Recherche dans la remise en question des critères de jugement moral de l'homosexualité, mais les relations familiales, et en particulier la relation entre la mère et la grand-mère du narrateur et le jeune Marcel ont toujours été envisagées en termes freudiens ou lacaniens. Cela est d'autant plus surprenant que Gilles Deleuze a été l'auteur d'un essai, Proust et les signes, qui, lui, est parmi les sources critiques les plus citées dans les études proustiennes. La grande majorité des critiques, apparemment toute prête à écouter Deleuze quand il s'agissait de reconnaître dans La Recherche une formidable machine à dévoiler les signes du Temps ou même de rendre l'homosexualité à sa profonde insignifiance morale, est restée apparemment indifférente aux théories concernant l'origine d'une possibilité de réalisation du désir contenues dans l'Anti-Œdipe et si bien illustrées, comme j'essaierai de le démontrer, par le fonctionnement de la figure de l'inceste maternel dans l'économie érotique du récit. Les théories schyzo-analytiques sur la sexualité [End Page 77] passent aussi par une réévaluation des rapports désirants dans la sexualité enfantine, et donc, plus ou moins explicitement, par une révision des théories psychanalytiques liées à l'inceste et, surtout, à son traitement en littérature.

Sauf quelques rares exceptions, l'inceste maternel est décrit dans la littérature critique sur La Recherche comme un désir plus ou moins pathologique de proximité physique et psychologique à la mère ou à la grand-mère ressenti par le jeune narrateur. Ce désir serait destiné à rester toujours insatisfait car il n'est pas partagé par ses destinataires. La composante érotique du rapport mère-enfant semble résider uniquement dans l'esprit maladif du jeune Marcel,1 jamais dans celui de ses très chastes parentes. Je crois que cette interprétation est liée à l'inflexibilité de l'utilisation des théories psychanalytiques dans la critique littéraire, qui tend à considérer les positions dans le Triangle symbolisant l'enfer des relations familiales comme si elles constituaient des rôles complètement imperméables et mutuellement exclusifs. Figés pour toute éternité dans leurs positions dans le Symbolique, le Fils—à la limite la Fille . . . —désire, le Père interdit et la Mère subit et reproduit le mécanisme de l'oppression castratrice. Pour le critique qui lit le roman armé de ce schéma, le fait que dans la famille décrite dans La Recherche le Père est quasiment inexistant et de toute façon excessivement débonnaire ne peut évidemment rien changer à l'affaire. Une des choses les plus intéressantes, dans ce type de parti pris analytique, est que les différentes classes d'âge sont nettement séparées par les miracles opérés par la dénégation, qui font que rien, sinon le malheur d'une insatisfaction primaire, ne reste du Fils dans le Père, ni de la Fille dans la Mère: réduits à des marionnettes impuissantes, les sujets continuent de s'épuiser dans la répétition d'un renoncement progressif. Tout désir extérieur à la énième reprise de la m...

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