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Reviewed by:
  • Jean Racine
  • Ronald W. Tobin
Georges Forestier . Jean Racine. Paris: Gallimard, 2006. Pp. 944. 35 euros.

En 1956 Raymond Picard définissait comme suit le but de La Carrière de Jean Racine : « Ce n'est pas ici une biographie, mais l'histoire d'une carrière, où les événements de la vie de Racine sont considérés surtout en tant qu'ils ont eu des répercussions matérielles et sociales » (8). Cinquante ans plus tard, Georges Forestier propose à son tour une biographie de Racine qui repose sur beaucoup des sources utilisées par son illustre devancier, notamment le Nouveau Corpus racinianum et son Supplément. Il se distingue toutefois de ce dernier par l'usage réfléchi de ressources mises à jour depuis cinquante ans et surtout par une toute nouvelle approche de la matière biographique. À l'étude de Picard inspirée de la sociologie, voire du marxisme lite, comme d'un existentialisme à la mode dans la France de l'après-guerre, Forestier oppose une perspective informée par des voies d'approche plus récentes, telles que les recherches sur la civilité et la critique génétique, discipline particulièrement chère au biographe.

De fait, l'organisation de Jean Racine part d'une vision « génétique » de la vie en ce que l'auteur reconstruit faits et gestes en fonction de la fin, qui est, dans le cas de Racine, sa situation à la cour en tant que Gentilhomme Ordinaire du roi. Pour confirmer que Racine possédait « les deux plus grandes qualités que l'on pouvait attendre d'un parfait honnête homme, l'éloquence et la grâce » (654), Forestier cite très tôt Saint-Simon, qui ouvre les pages consacrées à Racine dans ses Mémoires non pas, comme l'on pouvait s'y attendre, en regrettant l'ascension du dramaturge, mais en vantant les mérites du courtisan: « rien du poète dans son commerce, et tout de l'honnête homme » (14). Cette civilité, Racine l'a d'abord apprise chez les Jansénistes. Il a ensuite raffiné ces leçons chrétiennes en s'inspirant de la conduite des courtisans. Rien donc de l'arriviste que l'on trouve dans les biographies de Masson-Forestier à Alain Viala, en passant nécessairement par Picard. Plutôt que de voir dans le théâtre un moyen de parvenir, Racine, selon Forestier, aimait la poésie, dramatique et autre, et considérait le travail pour la scène comme une vocation.

Si Picard soutenait sa thèse en insistant sur les relations négatives que Racine aurait entretenues avec ses confrères du monde littéraire, Forestier, quant à lui, peint un Racine éminemment sociable et d'une « extrême civilité » (505). Il accumule de ce fait les propos favorables prononcés par de nombreux admirateurs. Grâce à sa maîtrise exceptionnelle de la documentation, le portrait qu'il nous donne de Racine ne manque pas de convaincre. Au vrai, l'une des tâches que Forestier s'est données consiste justement à démythifier Racine. Voici seulement quelques révisions que Forestier impose à notre connaissance du dramaturge : loin d'être un orphelin miséreux, Racine appartenait à une famille aisée et ambitieuse ; il est entré à Port-Royal à l'âge de 6 ou 7 ans, plutôt qu'à 10 ou 11 ; Molière n'a pu protester par voie légale le transfert d'Alexandre à l'Hôtel de Bourgogne, le roi l'ayant autorisé en répondant à un appel de Racine ; comme l'histoire romaine était le domaine de prédilection des dramaturges à l'époque, il ne faut pas voir dans Britannicus un désir de rivaliser directement avec Corneille ; la réception de la Phèdre de Pradon fut bien modeste et Racine n'en perdit donc pas le sommeil.

Soucieux de fonder ses découvertes, Forestier met en œuvre une méthodologie des plus méticuleuses. Lorsque les documents manquent, il en fait état. Et lorsqu'il émet une hypothèse qui va à l'encontre des idées reçues, il a souvent recours à un sage probabilisme rhétorique, ce qui explique...

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