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  • Postmodernité, non-lieux et mirages de l’anamnèse dans l’oeuvre de Marie Ndiaye
  • Nora Cottille-Foley

Marie Ndiaye fait partie de ces écrivains dont l'on reconnaît la signa-ture stylistique dès les premières lignes d'un roman. Une même quête, un même questionnement identitaire animent ses écrits. Sous sa plume, ses protagonistes subissent le même processus d'exclusion, d'aliénation et de nomadisation. Ils souffrent de la condition postmo-derne décrite par Jean-François Lyotard et en particulier du soupçon qui caractérise selon Dominique Viart les portraits du sujet à la fin du vingtième siècle. Plutôt qu'une création de personnages de type humaniste, les romans de Ndiaye mettent en scène l'interrogation d'un sujet quant à la plausibilité même de son existence. Au-delà de l'interrogation individuelle est représentée la perte de l'autorité logocentrique et se trouve par conséquent remise en question la validité de la narration elle-même. Décentrés, ses personnages se retrouvent projetés dans un espace postmoderne en expansion par une force centrifuge dont le contrôle leur échappe. Ils se font les témoins involontaires d'une contemporanéité géoéconomique sordide et impitoyable.

L'essai suivant se penchera sur plusieurs romans de Ndiaye pour éclairer ses portraits de sujets et en particulier leur errance. On retiendra quelques grands thèmes dont le statut de la mémoire et la déterritorialisation de la narration, la nomadisation, la projection dans des non-lieux contractuels et enfin la dénonciation des lieux postmo-dernes comme une machinerie virtuelle visant à remplacer les lieux de mémoire en voie de disparition.

L'oeuvre de Ndiaye est avant tout marquée du sceau de l'exclusion dans sa relation à une mémoire qui doute d'elle-même. Dans En Famille, une jeune femme du nom de Fanny entreprend de se faire accepter par [End Page 81] une famille qui feint ne pas se souvenir d'elle. Continuellement rejetée, reniée par tous, y compris ses propres parents, Fanny en vient à douter de sa propre identité et de la validité de son nom. S'emmêlant dans les fils d'un passé en métamorphose constante, Fanny sera tuée à deux reprises par sa famille, jusqu'à l'éradication totale, jusqu'à ce qu'elle soit, conformément aux souhaits de sa tante, "disparue, dissoute," et que "meure tout souvenir de son passage" (En Famille, 309). Dans Un Temps de saison, la femme et le fils d'un professeur en villégiature disparaissent. Prolongeant son séjour pour enquêter sur leur sort, Herman, l'époux solitaire, doit oublier son identité parisienne et tenter ainsi de se faire accepter par le village. S'il ne parvient jamais à s'intégrer totalement, il apprend cependant la fantastique métamorphose de sa femme et de son fils, devenus évanescences condamnées à contempler le paysage durant leur effacement progressif. Le professeur lui-même se liquéfie peu à peu dans l'humidité de cette province pluvieuse. Dans La Sorcière, Lucie, mère de deux adolescentes, subit l'abandon conjugal du mari. Dans un effort désespéré de donner un sens à sa vie, Lucie entreprend de réconcilier ses parents divorcés. Tout au cours du roman, ses souvenirs d'un couple amoureux parfait sont démentis par les témoignages de sa mère et les nouvelles frasques amoureuses de son père. Enfin, dans Rosie Carpe, une jeune femme aborde la vie depuis la fausse sécurité d'une maison natale réconfortante et protectrice. Mais Rosie apprend à ses dépens que ses parents ne correspondent pas à l'image qu'elle s'en faisait. La mythification de ses souvenirs la prédisposent à l'échec social, l'entraînant dans la débâcle de l'exploitation et de la marchandisation sexuelle jusqu'à ce qu'elle abandonne finalement la lutte et se résolve à atteindre "le point le plus extrême de la passivité et de l'indifférence" (Rosie Carpe, 334). Dans les romans de Ndiaye, la mémoire est cr...

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