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  • Paul Claudel :Contre Proust
  • Michel Lioure

« L'incompréhension fait partie de mes attributs »

Paul Claudel

Proust est avec stendhal l'un des écrivains majeurs envers lesquels Claudel a toujours manifesté une profonde incompréhension. Non qu'il l'ait ignoré ou méprisé. Mais l'univers imaginaire, esthétique et moral de Proust lui était insupportable. L'homme et l'œuvre lui inspiraient une égale antipathie. Il en était séparé, déclarait-il à Marthe Bibesco le 18 février 1929, « en quelque sorte zoologiquement, comme un lézard peut l'être d'une poule » : ils appartiennent à « des espèces inconciliables »1 . Il s'ensuit que les jugements portés sur la personne et les écrits de Proust, s'ils n'excluent pas une certaine admiration, sont généralement très critiques et plus révélateurs des goûts et dégoûts de Claudel que des qualités ou défauts de l'œuvre de Proust.

Claudel a eu bien des occasions de découvrir les écrits de Proust, qui ont été publiés, à partir de 1919, dans les numéros de la Nouvelle Revue française, à laquelle il était abonné, et aux éditions de la NRF, où paraissaient ses propres œuvres. Des fragments d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs avaient figuré, avec des écrits de Claudel, de Gide et de Valéry, dans le premier numéro de la nouvelle série de la NRF, en juin 1919, avant de paraître aux éditions de la NRF. En 1922, Claudel a manifestement lu, paru aux mêmes éditions, « le dernier livre » de Proust, à savoir Sodome et Gomorrhe, auquel il reproche avec véhémence, dans une lettre à Jacques Rivière du 15 novembre 1922, d'avoir « déchaîné toute cette littérature malpropre qui jadis aurait amené la NRF en police correctionnelle »2 . L'année suivante, il a lu « avec beaucoup d'intérêt » le numéro spécial de la NRF de janvier 1923, consacré à un « Hommage à Marcel Proust », qui comportait notamment un article de Jacques Rivière intitulé « Marcel Proust et l'esprit positif » : il adresse à cette occasion à Jacques Rivière, le 28 février 1923, une longue lettre où il développe avec précision toutes ses réticences envers l'œuvre de Proust, en espérant ne pas choquer l'admiration de son correspondant, qu'il « partage », affirme-t-il, pour « un homme que font aimer tous les témoignages que vous avez réunis en sa faveur »3 . En 1929, il déclare avoir lu « avec infiniment de plaisir » l'ouvrage de la Princesse Bibesco, Au bal avec Marcel Proust, publié aux éditions Gallimard en 1928, qui lui a « fait pour la première fois », lui écrit-il le [End Page 15] 18 février, « je ne dis pas sentir, mais comprendre l'intérêt que l'on pouvait prendre à Proust »4 . En 1943, il lira encore avec intérêt l'étude de Jacques Madaule sur « La vocation de Marcel Proust », où il éprouve « un vrai plaisir à lire les beaux passages » qui y sont cités, mais, ajoute-t-il néanmoins, sans « aucune envie de revenir au document original »5 . En 1949, il notera dans son Journal une citation des Carnets de Marcel Proust relevée dans l'ouvrage d'André Maurois, À la recherche de Marcel Proust6 . En janvier 1955, quelques semaines avant sa mort, il lira encore Le Temps retrouvé, qu'il juge « effroyablement ennuyeux, à peine soutenable »7 .

Habituellement très réticent sinon franchement hostile envers l'œuvre de Proust, Claudel n'en méconnaissait cependant pas la qualité proprement littéraire, et reconnaissait implicitement, par de brèves allusions, quelques affinités remarquables entre tel ou tel passage et ses propres intuitions. En janvier 1922, devant un public d'étudiants japonais, auprès desquels il ne pouvait dénigrer les grands noms de la littérature française, il mentionnait, parmi les représentants d'une tradition littéraire « explicative, théorique et psycholo-gique », avec Adolphe, Dominique et les romans de Paul Bourget, « l'œuvre si intéressante » de Marcel Proust8 . Dans son Journal d'avril...

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