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  • Sartre, admirateur secret de Proust
  • Young-Rae Ji

Quand proust, à trente-sept ans, commença à rédiger les premières versions de « Combray » en 1909, Sartre n'avait que quatre ans ; quand celui-là meurt en 1922, celui-ci était en train de préparer le concours d'entrée à l'École normale supérieure. Quand La Nausée paraît en 1938, son auteur avait trente-trois ans. Proust et Sartre : entre ces deux grands écrivains du siècle dernier qui ont connu leur apogée avec une génération d'intervalle, quel rapport pourrions-nous établir ? Quelle influence Proust a-t-il pu exercer sur Sartre ? Ou quelle place a-t-il occupée chez Sartre ?

Pour répondre à cette question, il faudrait d'abord signaler qu'il y a deux Proust chez Sartre : d'un côté, le Proust que Sartre traite sans ménagements en le considérant, de façon officielle (c'est-à-dire dans les articles et les ouvrages publiés), comme l'écrivain bourgeois de la génération précédente à dépasser ; d'un autre, le Proust dont Sartre reconnaît volontairement, mais d'une manière plus ou moins intime (c'est-à-dire dans plusieurs entretiens ou dans les carnets de note), l'influence sur lui-même et qu'il admire comme un des plus grands écrivains dans la littérature française. Entre ces deux Proust de Sartre, c'est généralement le premier qui est le mieux connu, et l'on conserve souvent l'image négative d'un Sartre ne respectant pas l'auteur de la Recherche ou même le calomniant. De sorte que, quand on pense à ces deux écrivains et à leurs œuvres, on tend à les différencier plutôt qu'à les rapprocher : « le pessimisme » de l'un contre « l'eudémonisme esthétique » de l'autre, par exemple. Pourtant, Sartre était un grand admirateur de Proust et il n'a jamais d'ailleurs caché le fait que Proust est l'écrivain qui l'a le plus influencé, même si cela est peu connu.

Dans cette étude, nous essayerons de dégager cette face positive de l'attitude de Sartre envers Proust. Pour cela, nous rappellerons dans un premier temps les attitudes offensives de Sartre contre son devancier, en cherchant leurs causes dans la situation philosophique et historique de Sartre au moment où il écrivit les textes en question. Puis nous suivrons la trace de Sartre-admirateur de Proust que Sartre a laissée ça et là, d'une manière constante, dès sa prime jeunesse et jusqu'à la fin de sa vie. Enfin nous examinerons les parallélismes esthétiques entre ces deux écrivains en comparant surtout la Recherche avec le dernier ouvrage de Sartre, L'Idiot de la famille. [End Page 44]

Comme l'on a déjà signalé dans plusieurs articles1 , il y a deux attitudes apparemment contradictoires chez Sartre à l'endroit de Proust : en tant que philosophe-critique, Sartre prend ses distances vis-à-vis de Proust ; en tant que romancier, il l'admire. Tandis que Sartre romancier admire Proust assez discrètement, Sartre philosophe prend ses distances publiquement, d'une manière « officielle ». En ce qui concerne cette position officielle de Sartre envers Proust, nous pouvons encore distinguer deux tons assez différents selon la période, quand nous examinons ses textes publiés : si le ton était académique à l'époque où Sartre a préparé sa thèse sur l'image et L'Être et le néant, il devient provocateur, en traversant la Seconde Guerre mondiale, dans « La Présentation des Temps Modernes » et dans Saint Genet comédien et martyr.

Même si nous nous souvenons souvent d'un Sartre se plaisant à offenser Proust d'un ton provocant, il n'est pas exact que Sartre ait été toujours si

virulent en face de Proust, même s'il était rarement d'accord avec la psychologie proustienne. Au contraire, pendant longtemps, les œuvres de Proust lui avaient servi de réservoir d'exemples qu'il a utilisés sans la moindre gêne à l'appui de ce qu'il avançait. C'est...

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