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  • "Verbrasilianern":L'émigration suisse au Brésil et la question de l'intégration1
  • Jeroen Dewulf (bio)

Lorsqu'on parle d'identité suisse, la figure de Wilhelm Tell est presque in-contournable. Le fameux archer d'Uri apparaît dès qu'il s'agit de légitimer la Suisse comme nation. En règle générale, il s'agit d'une légitimation restrictive, dans laquelle le pays est comparé à un gigantesque hôtel Ritz: tout le monde est bienvenu, mais seuls ceux qui ont les moyens ou qui sont prêts à laver le linge sale des autres résidents peuvent y rester. À moins qu'on ne soit descendant de ceux qui vivent "depuis toujours" dans cet hôtel, c'est-à-dire des vrais "fils" de Wilhelm Tell.

Aujourd'hui, presque tout le monde semble avoir oublié qu'au milieu du XIXe siècle la pauvreté sévissait encore en Suisse, ce qui provoquait une forte émigration vers les Amériques. Dans les discussions suisses de l'époque, lorsqu'il est question d'émigration, le nom de Wilhelm Tell apparaît fréquemment. À première vue, il paraît logique que ce soient les adversaires de la politique d'émigration qui citent Wilhelm Tell. Ainsi, dans une chanson de 1857, on peut lire:

Und willst du hier nicht länger weilen? / Im grünen Tal am blauen See? / Du willst der Heimat Los nicht theilen? / Nicht deines Volkes Wohl und Weh? / So wandre nach Amerika! / Ich bleib im Land der Alpen da. [...] Du willst nicht länger Schweizer heißen? / Schwörst unserm Bund auf ewig ab? / So wandre [...] – Die Väter, die in Unglückstagen / nie feig aus ihrer Heimat flohn, / die Tell und Winkelriede klagen / um dich, um den verlornen Sohn. / So lebe für Amerika! / [...] Als Schweizer leb und sterb' ich da!

(Greverus 186)

Cette chanson fourmille de clichés patriotiques: les Alpes et les lacs, le serment du Grütli et la confédération, le vaillant Winkelried de l'époque de la révolte contre les Habsbourgs et, tout naturellement, Wilhelm Tell. Le propos représente ceux qui veulent émigrer comme des traîtres à la patrie, comme s'ils voulaient [End Page 229] tourner le dos à celle-ci pour des raisons égoïstes, en méprisant les sacrifices des ancêtres.

Cependant, une lecture précise de l'histoire classique de Wilhelm Tell, telle qu'elle est racontée dans la pièce de théâtre de Friedrich Schiller, datant de 1804, rend cette interprétation unilatérale problématique. En effet, bien que Wilhelm Tell se soit aujourd'hui transformé en un symbole d'une Suisse plutôt réactionnaire, une Suisse qui cultive précisément le mythe voulant que le pays appartienne d'abord à ceux qui y vivent "depuis toujours," c'est dans cette version la plus classique de la révolte des confédérés helvétiques qu'on trouve la thèse, surprenante, voulant que les Suisses forment un peuple de migrants.

Dans la fameuse scène sur la prairie du Grütli, au bord du Lac des Quatre-Cantons, peu de temps avant le serment des représentants d'Uri, de Schwyz et d'Unterwald – lequel provoquera la révolte armée contre les Habsbourgs –, Werner Stauffacher, l'un des confédérés, raconte l'origine du peuple suisse de la manière suivante: "Es war ein großes Volk, hinten im Lande / Nach Mitternacht, das litt von schwerer Teurung. / In dieser Not beschloss die Landsgemeinde, / Dass jeder zehnte Bürger nach dem Los / Der Väter Land verlasse – das geschah" (Wilhelm Tell, II, 2). Autrement dit, Schiller présente clairement les Suisses comme des descendants d'étrangers qui, forcés par la misère, avaient dû quitter leur pays. Mais l'histoire ne s'arrête pas là: quand ces émigrants arrivent en Suisse, ils constatent que cette terre est déjà peuplée. Schiller parle d'une hutte au bord du lac où se trouve un homme qui veille sur le bac permettant de le traverser. On n'en apprend pas plus sur cet homme mystérieux – ce qui est étrange...

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