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  • Mémoires de M. le marquis de Montbrun
  • Françoise Gevrey (bio)
Courtilz de Sandras. Mémoires de M. le marquis de Montbrun, éd. Eric Leborgne, préface de René Démoris. Paris: Éditions Desjonquères, 2004. 250pp. €20. ISBN 2-84321-068-2.

« Le Joueur »: ainsi pourrait-on désigner le héros de ce roman-mémoires publié en 1701 qui fait l'objet du présent volume. Si l'auteur, Courtilz de Sandras, appartient plus au XVIIe qu'au XVIIIe siècle—il mourut en 1712, sous le règne de Louis XIV—, la réception de ses œuvres, assez nombreuses (plus de trente), est déterminante dans l'évolution du roman au XVIIIe qui fit émerger l'individu par la voix d'un personnage qui se souvient de ses aventures imbriquées dans la grande Histoire.

Chacun connaît le personnage de d'Artagnan sans toujours savoir que Dumas a brodé son récit sur le canevas des Mémoires de M. d'Artagnan publiés en 1700. Des œuvres de Courtilz de Sandras on ne possède que quelques éditions modernes (LesApparences trompeuses que nous avons présenté comme un palimpseste de La Princesse de Clèves, ou LeMort ressuscité qu'annota Jean Lombard pour le volume des Nouvelles du XVIIe siècle dans la Bibliothèque de la Pléiade). Cette édition vient donc combler un manque: elle permet de lire un auteur mal connu (sans doute parce qu'il a souvent gardé l'anonymat et qu'il a pratiqué les pamphlets qui l'ont conduit à la Bastille). On lui a beaucoup prêté, et tout comme les nouvelles historiques de Mme de Villedieu, ses pseudo-mémoires ont donné lieu à des critiques au moment où la conception de l'Histoire était elle-même en débat.

Montbrun, le personnage narrateur, est un bâtard: Courtilz s'intéresse aux marginaux qui ne sont pas des picaros, mais que leur condition rend disponibles pour traverser les milieux et les territoires. Ce Montbrun a un référent historique, le « pipeur » que Tallemant des Réaux décrit de manière beaucoup plus crue dans les Historiettes. Fils de la femme d'un pâtissier de Paris, il parvint à se faire reconnaître de son père noble contre de l'argent, il prêta aussi une somme importante au roi d'Angleterre Charles II alors exilé en France, il fut accueilli à la cour d'Angleterre, il fut aussi témoin des conflits entre Monsieur et le roi Louis XIII. Son existence, déterminée par le jeu, au sens propre et au sens figuré, est un enchaînement d'anecdotes qui peignent les parties de jeu de paume, les duels, les négociations secrètes ou les mariages arrangés avec des femmes qui n'ont plus de vertu. L'épisode de la « bête épaulée » est récurrent dans l'œuvre de Courtilz à partir des Mémoires de Rochefort, avant d'être repris par Robert Challe dans Les Illustres Françaises.

Le récit se caractérise par un découpage en trois livres avec sommaires, qui ne conduisent pas la vie du personnage jusqu'au temps de la narration où ce dernier est dans une « assez profonde vieillesse ». Cet inachèvement, qui va devenir fréquent au XVIIIe siècle, par exemple dans Le Paysan parvenu de Marivaux, correspond sans doute à une esthétique qui laisse des pierres [End Page 548] d'attente sans combler ensuite les lacunes d'une vie dont le lecteur ne connaît que l'essentiel: une façon d'être qui conduit à une reconnaissance par la société et une somme d'argent récupérée. L'avertissement joue sur la tension entre fabuleux et véritable, tout en prévoyant l'incrédulité possible du lecteur devant ce qui est « vrai ». Le narrateur se donne sans scrupule pour porteur d'une leçon morale (« les défauts d'autrui nous servent de miroir en quelque façon pour nous contempler nous-mêmes »); il se présente comme un modèle d'adresse, puisque le jeu...

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