In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Science
  • Paule Petitier

La refondation de l'histoire au début du XIXe siècle vise à donner le statut de science à un discours éparpillé entre divers genres et pratiques (mémoires, chroniques, travaux d'érudits, essais ou traités politiques). Les siècles classiques ne croyaient pas possible de tirer de l'histoire un savoir autre que de nature morale. Les jeunes historiens de la Restauration, et Michelet à leur suite, auront à cœur de montrer que le déroulement de l'histoire est intelligible et obéit à des lois générales. Retirée à la main de Dieu, l'histoire appartient désormais à l'homme, qui, en étant l'agent, se trouve le mieux placé pour la comprendre et se comprendre à travers elle. L'histoire échappe ainsi à la fois à l'insignifiance de la contingence et à la Providence divine. Mais en affirmant son caractère scientifique, la jeune histoire cherche aussi à se différencier de la philosophie de l'histoire, qui a accompagné ses débuts.

Fonder l'histoire comme science

La découverte de Vico, sous la Restauration, jalonne le parcours qui conduit Michelet de la philosophie vers la science historique. L'auteur de la Scienza nuova montre l'existence de cycles qui régissent l'évolution des civilisations. Il fournit une méthode pour l'étude des sociétés disparues— interroger la langue—et une herméneutique—interpréter les mythes comme des figures exprimant des transformations réelles. 1830 représente le tournant qui fera de Michelet un historien scientifique : d'une part, la révolution le propulse chef de la section historique des Archives ; plus symboliquement, répétant en cela le geste de 89, elle définit clairement l'objet de l'historien, en marquant les frontières du révolu. Michelet s'en expliquera dans le texte sur les Archives qui clôt le deuxième tome de l'Histoire de France (1833).

La recherche historique consiste selon Michelet à « rétablir la longue génération des causes »1 , classer et hiérarchiser celles-ci : « l'historien a pour spéciale mission d'expliquer ce qui paraît miracle, de l'entourer de ses précédents, des circonstances qui l'amènent, de le ramener à la nature »2 . La restauration d'une chaîne chronologique lacunaire ou déformée par la tradition et la mise en lumière des liens logiques entre les événements permettront de dégager des régularités, véritable but de toute science, voire de prédire d'après ces lois l'évolution à venir. L'histoire pourrait ainsi accéder à une utilité sociale, la connaissance du passé donnerait une prise sur le réel. « Alors on [End Page 109] connaîtrait les moyens par lesquels une société peut s'élever ou se ramener au plus haut degré de civilisation dont elle soit susceptible »3 .

Par la recherche des lois et des régularités, l'histoire se réclame du modèle scientifique le plus dur, celui de la science newtonienne. Michelet ne se cantonne cependant pas dans ce paradigme. Il conçoit en effet l'histoire comme une science du complexe et du vivant, plus proche des études de la nature organique que de la mécanique newtonienne. La multiplicité des niveaux de l'action humaine, la diversité des facteurs du devenir posent à la discipline nouvelle des questions proches de celles que rencontrent la médecine et la biologie. Influencée par l'intérêt commençant pour les interactions entre les organismes et les milieux qui les abritent, l'histoire michelettiste fonde sa scientificité sur l'examen des relations des sociétés humaines avec les données matérielles (sol, climat, géographie, alimentation) auxquelles elles se trouvent confrontées. Par là entrent dans l'histoire les résultats de disciplines parallèles (climatologie, botanique, statistique, géographie, économie, médecine) dont le statut scientifique est parfois tout aussi inchoatif que le sien. Le concept d'organisme fournit également un instrument d'intelligibilité pour l'histoire. Il conduit Michelet à considérer chaque moment historique comme une totalité dont il s'agit de retrouver la cohérence interne. Faire de...

pdf

Share