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French Forum 31.1 (2006) 99-111



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Hergé, auteur à contraintes?

Une relecture de L'Affaire Tournesol

KU Leuven

Pourquoi Hergé, et pour quoi faire?

A quoi bon lire et relire Hergé? Et à quoi bon continuer à le faire? La question mérite d'être posée, ne fût-ce qu'en raison des effets pervers qu'entraîne une célébration sans doute trop longue et sans aucun doute trop exclusive des Aventures de Tintin: effets de censure directe, car à force d'exalter Tintin on offusque dans le champ du roman graphique des créations d'un genre tout différent; effets d'appauvrissement culturel aussi, car le règne sans partage de la Ligne Claire obscurcit le travail ardu, retors, expérimental, effectué par bien des jeunes créateurs; effets de blocage institutionnel enfin, car la réduction d'un genre à l'une de ses formes seulement donne aux instances publiques un facile alibi pour ne rien faire en faveur d'autres formes d'écriture bédéistique.

Cela dit, l'exemple d'Hergé montre aussi, une fois de plus, qu'on ne prête qu'aux riches. Même relue pour la trente-sixième fois, l'œuvre d'Hergé s'avère toujours utile, très utile, dès qu'il s'agit de penser les vrais enjeux du médium. A condition bien sûr de ne pas en rester au cas du seul Hergé, mais de prendre son travail comme point de départ d'une approche plus générale, qui englobe virtuellement la totalité des langages de la bande dessinée. En l'occurrence, l'approche particulière d'un album précis va prendre appui sur la notion de "contrainte," que je définirai brièvement avant de l'appliquer à L'Affaire Tournesol et avant de voir jusqu'à quel point la perspective retenue se révèle apte à redéfinir à son tour certains aspects du travail d'Hergé lui-même.

Qu'est-ce qu'une 'contrainte'?

Toute œuvre se fait à l'aide--et en fonction--de certaines règles. D'une œuvre à l'autre, toutefois, ces règles varient beaucoup, et il en va de [End Page 99] même pour la manière dont elles sont mises à contribution, d'une part, et perçues par le lecteur, d'autre part. Une règle peut en effet être respectée plus ou moins scrupuleusement, ou être enfreinte, voire ignorée, et ce respect ou non-respect peut résulter également de causes très variées: goût du défi, surmoi littéraire, nonchalance, amour de la provocation, etc. De même, l'application ou la non-application d'une règle peut être tenue pour quelque chose de secondaire, être mal interprétée ou encore inventée de toutes pièces par le lecteur, et ainsi de suite.

Certaines de ces règles sont appelées des "contraintes." Pour bien comprendre ce terme, il convient d'établir une différence entre trois types de règles: les normes, les conventions, les procédés ou, plus exactement peut-être, les contraintes. Ces trois types de règles se distinguent aussi bien quant à leur objet que quant à leur nature et leur portée.

En effet, les normes sont des règles qui s'appliquent à l'ensemble de la langue ou du médium. Les conventions, en revanche, sont des règles qui s'appliquent à des formes d'expression plus spécifiques. Les procédés ou contraintes, enfin, sont des règles qui s'appliquent à des œuvres uniques, quand bien même il est toujours possible de les utiliser en divers endroits, par exemple à l'intérieur d'un genre. On voit donc clairement ce qui différencie ces trois types de règles. C'est d'abord leur objet (la langue ou le médium en général pour les normes, des emplois plus spécifiques de cette langue ou de ce médium pour les conventions, et des œuvres singulières pour les procé...

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