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Eighteenth Century Fiction 18.1 (2005) 1-26



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L'Individualité romanesque au XVIIIe siècle:

une lecture foucaldienne

L'Université de Copenhague

Les années 1713–45, particulièrement fertiles dans l'innovation de l'art romanesque, marquent un véritable tournant dans l'histoire de la littérature européenne. À partir de la publication des Illustres françaises de Robert Challe en 1713, des publications consécutives des romans de Daniel Defoe dès 1719, des Lettres persanes en 1721, des romans de Pierre Carlet Chamblain de Marivaux, de Crébillon fils et d'Abbé Prévost dans les années trente, jusqu'aux romans de Samuel Richardson et de Henry Fielding des années quarante, un nouveau roman à la fois plus réaliste et plus sensible surgit. Les romans de Laurence Sterne, Jean-Jacques Rousseau, Denis Diderot, Christoph Martin Wieland et Johann Wolfgang von Goethe viendront confirmer ce renouveau dans la deuxième moitié du siècle. Les spécialistes du roman du XVIIIe siècle n'ont pas manqué de remarquer qu'un des grands changements de ce roman a été d'individualiser les « types » du roman héroïque, pastoral et picaresque du XVIIe siècle, en les dotant de sentiments et non de passions, d'un corps et de désirs multiformes et non d'une grande volonté pathétique comme cela avait été le cas pour les romans « idéographes » de Mlle de Scudéry, Marin Le Roy de Gomberville et Gauthier de Costes de La Calprenède ou d'une grande volonté comique, dans les romans de Charles Sorel, Paul Scarron et Antoine Furetière. Ce nouvel homme du roman des [End Page 1] Lumières possède une foi personnelle, des pensées intimes et nuancées et n'agit pas uniquement dans le cadre d'idéaux transcendantaux, vertus, vices ou folies inébranlables. Il se met, au contraire, au diapason des valeurs sociales complexes et des nécessités empiriques de la vie quotidienne tout en se jouant de ces mêmes valeurs et nécessités. Cet homme dispose d'une parole personnelle à travers laquelle s'exprime sa personnalité (mise en forme dans la lettre, la confession, la mémoire, l'histoire) alors que la typologie stylistique du roman héroïque ou picaresque décidait de façon normative, donc à l'avance, quel serait le style convenable en fonction du sujet à représenter. Cet homme n'est plus situé dans les espaces idéalisés et typiques qu'étaient ceux du roman « idéographe » de l'âge classique; il reçoit dès lors un espace empirique, des villes où vivre ou se rendre, et une vie quotidienne. L'avènement de cette nouvelle figure de l'homme est parfaitement mis en lumière dans le récent et riche ouvrage d'Alain Montandon, Le Roman au XVIIIe siècle en Europe:

La psychologie [des personnages] se transforme, s'affine, se complexifie [...] . L'individu se penche non seulement sur les autres mais, sur lui-même, plongeant ses regards dans la complexité du cœur humain et les mille et un replis de la conscience. Alors que dans le roman baroque la fonction du héros était de dévoiler l'ordre métaphysique du monde et la place prédéterminée de l'homme dans un système métaphysique stable, le «nouveau roman» ébranle cet ordre, introduit des doutes quant à la structure métaphysique en exigeant l'intervention d'une conscience interprétative. Le héros du roman moderne doit se construire à partir de l'expérience et non à partir d'un ordre donné a priori [...] . Pour la première fois le sens intime de la durée, du temps psychologique avec ses contradictions et ses heurts avec le temps chronologique et historique, voient le jour. Le monde bouge aussi sous le regard de la nouvelle subjectivité qui l'anime. À son contact, l'individu développe une irritation vitale, une sensibilité qui revêt toujours les formes, y compris...

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