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  • Les Tritons de Théophile :sensibilité baroque de la Nature et sentiment écologique chez Théophile de Viau
  • Bruno Sibona

Pourquoi remonter à l'âge baroque, et plus précisément au premier quart du XVIIe siècle dans un numéro de revue consacré aux rapports entre littérature et écologie ? On sait que le terme « écologie » (la science de la demeure) fut créé de toutes pièces dans les années 1860 par un scientifique allemand, Ernst Haeckel, pour désigner « la science qui étudie les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent »1 . Il s'agit là d'une science, stricte dans sa définition et ses méthodes d'étude. Cependant, nous avons tous bien conscience que, depuis le courant des années soi-xante et la publication de livres comme Le Printemps silencieux de Rachel L. Carson (1962), ce terme recouvre un mouvement social beaucoup plus global et une certaine forme de sensibilité. Il peut être admis que cette science trouve ses racines dès l'antiquité dans les travaux zoologiques d'Aristote, de Pline, de Varron et certains traités de Plutarque2 . Il nous est encore plus évident d'admettre que le mouvement et la sensibilité écologiques sont nés d'une crise du progrès précisément datée et localisée en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest dans le dernier tiers du XXe siècle. Comme le dit Olivier Burgelin, « le développement foudroyant des thèmes écologiques dans la pensée occidentale est d'abord un phénomène réactionnel », et il fait remarquer que le thème du retour à la nature revient par cycle dans l'histoire de la culture européenne3 . Il serait aisé et après tout assez pertinent de remonter à Théocrite, Virgile et Horace, de penser aux églogues et autres bucoliques de la littérature classique qui ont nourri nos lectures pendant des siècles. Plus près de nous, le sentiment de la nature s'épanouit à la période romantique avec Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand et Lamartine et plus encore chez les lakistes anglais Coleridge et Wordsworth. Mais il apparaît dans l'histoire de notre littérature moderne une autre période fortement marquée par le dédain des idéaux et des comportements urbains et la nostalgie d'une nature sauvage ou bénignement domestiquée, protectrice et curative, si non encore à protéger des ravages de l'humanité.

L'intérêt littéraire de cette période « préclassique », comme l'a dénommée Jean Tortel4 , a pu être révélé par Théophile Gautier—un romantique—dans [End Page 17] son livre Les Grotesques 5 , ou par Baudelaire dans son attirance pour Agrippa D'Aubigné, puis plus récemment à partir des années cinquante par des critiques comme Jean Rousset6 , puis Gérard Genette7 , ou Gisèle Mathieu-Castellani8 . Cette période littéraire, qui offre comme un contrepoint à l'humanisme triom-phant, commence vers la fin du XVIe siècle et s'interrompt assez brutalement autour des années 1620-1630. Elle est marquée par deux crises profondes qui l'inaugurent et l'influencent. L'une est interne à la société française : il s'agit des guerres de religion, un conflit qui, bien que théoriquement terminé avec le couronnement d'Henri IV et l'Édit de Nantes (1598), continue à saper la confiance des élites dans la foi chrétienne et à envenimer le paysage politique du royaume pendant toute la majeure partie du XVIIe siècle9 . L'autre, encore plus fondamentale, affecte l'ensemble des classes intellectuelles et gouvernantes européennes : on a pu l'appeler la révolution copernicienne10 . Cette crise proprement ontologique de la pensée occidentale s'est développée lentement à partir du moment où, en 1543, Copernic accepte de voir publier ses travaux les plus importants dans le De revolutionibus orbium. Giordano Bruno répand ensuite dans toute l'Europe sa philosophie naturaliste qui en est un développement direct, cela surtout dans les années...

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