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  • Un refuge redoutable :la nature chez Lautréamont
  • Teo Sanz

Sans tomber dans l'illusion d'un retour au passé, le courant principal des Lumières a vu dans la nature une source d'inspiration pour imaginer une société idéale que l'on pouvait comparer avec la société réelle. De cette manière, on pouvait dénoncer les problèmes sociaux, tout en cherchant une solution dans un perfectionnement de la civilisation. La nature comme paradigme du Bien est en rapport avec la construction d'une morale laïque bourgeoise. Elle a également servi de refuge aux âmes sensibles. Ceci a donné lieu à ce que l'on connaît comme pré-romantisme dont le principal représentant est Rousseau.

La mélancolie de Les Rêveries du promeneur solitaire ne cesse d'inspirer les écrivains du romantisme. En particulier chez les « grands » de ce mouvement (Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Gautier, Vigny et d'autres), la nature est un refuge où l'on harmonise les sentiments du moi avec les espaces dont l'âme suit les mêmes lois que l'âme humaine. La nature devient ainsi l'endroit privilégié pour la communication de l'homme avec la Totalité. Comme l'a écrit Jean-Yves Tadié, « Le vague des passions s'accorde avec le vague des paysages : marins, vespéraux ou nocturnes, étranges ou pittoresques »1 .

Il faut souligner que ces créateurs évoquent aussi bien les aspects positifs de la nature que le côté plus sombre et menaçant des paysages qui leur servent de refuge. Le Vallon lamartinien berce le poète assoupissant son âme avec le murmure musical des eaux qui coulent doucement. En revanche, Hugo laisse parler Les Voix intérieures d'où jaillissent les images d'arbres difformes aux racines effrayantes. Les espaces immenses décrits par Chateaubriand ont une étendue qui égale ses angoisses. Mais ce qui est certain c'est que le sentiment d'accord avec la nature chez eux ne s'efface pas devant des visions oniriques ou hallucinatoires comme il arrive chez les romantiques « mineurs », aujourd'hui revalorisés, voire considérés comme les « vrais » romantiques.

À côté de cette conception de la nature se développe aussi une pensée d'un ordre différent : celle qui estime que la nature est une 'marâtre' dévoreuse. Sans pour autant renier des Lumières, la philosophie sadienne s'érige comme une pensée qui trace la voie de la transgression des lois humaines, de l'inversion du paradigme proposant l'imitation de la nature 'méchante'. Le Mal devient alors le modèle suprême de liberté. C'est le cas d'Isidore Ducasse, en littérature [End Page 42] comte de Lautréamont. Il a voulu par sa poésie frénétique renverser l'ordre proposé par les défenseurs d'une morale bourgeoise supposée naturelle :

La révolte romantique s'exaspère dans l'œuvre d'Isidore Ducasse. Symbole de la révolte poussée aux extrêmes conséquences, Maldoror se dresse contre l'homme […] et contre Dieu qui l'a créé. C'est le surhomme qui s'insurge contre toute loi morale et sociale, contre toute convention, contre l'ordre établi2 .

Je voudrais examiner les Chants de Lautréamont pour y relever la face menaçante de la nature au sens le plus large du terme qui inclut la nature humaine. Chez cet écrivain, la nature est invoquée pour s'opposer aux normes hypocrites de la société, mais aussi en tant que proposition d'une idée morale. Je ferai aussi une brève allusion à ses Poésies I et II comme rétractation qui néanmoins reste liée à une esthétique du renversement des idées reçues. La rupture avec les idées religieuses comporte une exaltation du moi romantique qui mène à la négation totale des liens communautaires. Mais à l'encontre des romantiques 'officiels', la nature ne va pas lui offrir un refuge harmonieux parce qu'elle est faite de pulsions agressives et de menaces.

Bien que sa littérature nous propose une nature comme source d'énergie en changement perp...

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