Le Roman contemporain a la recherche d'une textualite ecologique: l'exemple de Sheri Tepper

ÉCrire des Romans Écologiques constitue un défi non seulement sur le plan idéologique, mais sur le plan littéraire. Dominic Head, dans un article sur « l'(/a) (im)possibilité de l'écocritique », pose la question de l'anthropocentrisme inévitable de la littérature, créée par les humains pour les humains. Dans quelle mesure une réelle littérature écologique est-elle possible ? Est-il suffisant qu'un texte soit inspiré de principes écologiques et qu'il pense le non humain autrement que comme symbole ou allégorie pour qu'il soit considéré comme écologique ? En outre, le contexte culturel postmoderne qui est le nôtre et qui est largement dominé par le texte nous encourage-t-il à percevoir le monde naturel comme texte, la nature comme livre, les espèces non humaines comme signes ? Nous ne pourrons jamais que leur donner une signification humaine, mais l'environnement non humain n'a pas que de sens pour l'humain. Dominic Head cite l'un des premiers critiques littéraires à s'interroger sur ces paradoxes, Lawrence Buell :

Quelle sorte de littérature reste-t-elle possible une fois que nous avons renoncé au mythe de la séparation humaine ? Cela sera obligatoirement une littérature qui abandonne, ou du moins, met en cause ce qui semble être les axes centraux de la littérature : personnage, rôle, discours narratif, conscience¹ .

Mon but consistera ici à considérer ce problème de l'écriture écologique à travers une analyse des œuvres de la romancière américaine Sheri Tepper, pion-nière de ce que l'on pourrait nommer une textualité écologique. Je voudrais en particulier insister sur le rôle clé que jouent les animaux dans ses romans, animaux réels ou imaginaires qui participent à l'élaboration d'une textualité évocatrice d'un message écologique.

Hubert Zapf, mentionné plus haut par Marion Gymnich et Alexandre Segão Costa, considère que trois procédés essentiels permettent à la littérature d'acquérir une fonction culturelle écologique. Non seulement les principes fondamentaux de l'écologie se retrouvent dans les romans de Tepper, mais les procédés littéraires que Zapf identifie comme essentiels au renouveau du roman écologique y jouent un rôle privilégié. La citation qui suit est justifiée par l'importance que ces trois procédés tiennent dans l'œuvre de Tepper :

(1) La représentation et l'équilibre critique des insuffisances, contradictions et déformations des systèmes politiques, économiques, idéologiques et utilitaristes mis en place par le pouvoir civili-sateur […] (on peut décrire cette fonction comme la fonction de métadiscours culturel et critique). (2) La confrontation de ces systèmes à une approche holistique pluraliste qui est centrée spécifiquement sur ce qui est marginalisé, négligé ou réprimé par ces réalités systémiques et arti-cule ce qui ne serait autrement pas exprimé dans les catégories disponibles de l'auto-interprétation culturelle. La littérature amorce ainsi une nouvelle source de créativité en donnant un pouvoir sémiotique à ce qui est réprimé culturellement. […] (= la fonction d'un contre-discours imaginatif). (3) L'échange et la réintégration de ce qui est réprimé dans le système complet des discours culturels, grâce à quoi la littérature contribue au renouvellement continuel du centre culturel. […] (= fonction d'un inter-discours réintégratif)² .

Si le contenu écologique des romans de Tepper est important sur le plan sémiotique, et si la fonction de « métadiscours culturel et critique » est parti-culièrement visible à travers la thématique qui s'y trouve, l'expression écologique de ces textes ne se limite pas uniquement à des données scientifiques ou à un message idéologique. Comme l'a évoqué Jonathan Bate dans plusieurs textes³ , la science de l'écologie et les valeurs politico-économiques de l'écologie doivent être accompagnées d'une poétique de l'écologie régie par l'esthétique, car il est essentiel de considérer non...