Du cote de la sexualite: Proust, Yourcenar, Tournier (review)

Dans Du côté de la sexualité, Anne-Marie Gronhovd entreprend d'étudier quelques romans d'auteurs établis du XX^e siècle afin d'y « déconstruire les catégories normalisantes de l'hétérosexualité ». L'auteure propose donc une étude de quelques personnages romanesques homosexuels (masculins) et détaille les multiples façons dont ils évoluent à travers des espaces identitaires qui les définissent, ce qui problématise la perception et le positionnement social de l'homosexuel. Par le biais de diverses théories portant sur la construction de l'identité sexuelle, Gronhovd analyse ces personnages fictifs afin de dévoiler les tenants et les aboutissants politiques, philosophiques, sociologiques même, de leur présence dans le roman français moderne.

En dépit de ce thème a priori idéologiquement chargé, l'ouvrage de Gronhovd n'a rien d'un pensum ou d'un acte de foi militant, non plus que d'un traité politique qui déclinerait un peu gratuitement la construction et les contraintes forcément complexes du rapport à soi à travers les autres. Le petit volume se lit facilement et demeure tout au long d'une clarté exemplaire, en identifiant clairement les enjeux et les intérêts qui entrent dans la représentation littéraire des homosexuels, en général et dans les trois romans soumis à l'analyse en particulier. L'étude est même économe de « théorie », tant du point de vue de son emploi de terminologie - resubjectivation, homosocial, resignification sont quasiment les seuls termes spécialisés qu'il est utile de comprendre, tâche aisée grâce aux explications de l'auteure - que de son recours aux grandes figures qui ont fondé le champ des études identitaires. Le chapitre premier présente la pensée de Foucault et glose parcimonieusement La volonté de savoir, permettant de saisir les rapports entre les formations discursives et la réalité sociale vécue. On y découvre notamment les théories foucaldiennes portant sur l'économie du désir instituée et administrée à travers les classes sociales dominantes et la gestion des plaisirs, par le discours de la tempérance entre autres, qui, Gronhovd le montre bien, situent l'homosexuel dans un rapport à soi différent. À la suite de ce chapitre succinct et bien tourné, on saisit sans difficulté la nature et les effets du « processus de répression et des mécanismes de marginalisation » qui seront analysés en action dans les trois romans étudiés. Ce premier chapitre est une excellente introduction à la pensée de Foucauld, fidèle et directe.

Le reste de l'étude se compose de l'analyse de trois romans. Ce qui les réunit, ce n'est aucun rapport objectif entre les auteurs, ni encore moins leur étendue physique - La recherche comporte trois volumes dans l'édition utilisée, la première Pléiade ; Un homme obscur dépasse à peine les cent pages dans la même présentation normalisée -, mais la figure centrale du dissident sexuel à l'hétérosexualité, diversement déclinée par Proust, Tournier et Yourcenar.

Gronhovd est proustienne de formation, ayant signé une maîtrise et une thèse sur À la recherche du temps perdu (« Le montage des figures féminines et masculines dans l'écriture proustienne », Minnesota 1988), et on ne s'étonnera donc pas que son étude en deux chapitres de la figure de l'homosexuel chez Proust emporte la plus grande adhésion. Dans ces deux chapitres, Gronhovd analyse des scènes d'équivoque vestimentaire, et d'autres où la façade opaque pour le monde hétérosexuel cache une déviance sexuelle insoupçonnée - Gronhovd montre bien comment le lecteur dans le coup saisit les dédoublements sexuels et le retentissement des actes, des postures ou des paroles. Elle souligne aussi comment Proust joue des lignes de démarcation entre les sexes, partie de la comédie sociale et des leurres...