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  • La pensée impuissante. Échecs et mythes nationaux canadiens-français (1850-1960)
  • David M. Hayne (bio)
Gérard Bouchard, La pensée impuissante. Échecs et mythes nationaux canadiens-français (1850-1960)Montréal, Boréal, 319 p., 29,95$

L'historien et sociologue Gérard Bouchard poursuit dans cet ouvrage ses études scientifiques et solidement documentées sur les cultures nationales des pays neufs, et surtout celle du Québec. Il démontre dans un chapitre liminaire que, depuis les premiers temps de la colonie, les missionnaires nourrissaient des concepts utopiques organisés autour de leurs projets de conversion. Puis au XVIIIe siècle, la notion d'une éventuelle révolution intriguait les intellectuels jusqu'au moment où leurs journaux furent interdits et leur chefs emprisonnés. Au siècle suivant, la pensée utopique des Patriotes prit la forme d'une république inspirée du modèle étatsunien. Chaque nouvelle version comportait des éléments radicaux, mais conservait l'essentiel des traditions nationales. La période 1840-1940 fut particulièrement riche en concepts utopiques qui peuvent se grouper selon trois principes territoriaux: une expansion pancanadienne ou panaméricaine du «fait français»vers l'ouest ou vers les États-Unis, une focalisation sur la vie rurale du Québec et l'agriculturisme, ou bien une restructuration de la vie collective sans référence territoriale. L'auteur a choisi quatre écrivains [End Page 568] ayant œuvré entre 1850 et 1960 pour illustrer ses catégories de pensée radicale, organique ou fragmentaire.

Le premier cas à l'étude est celui d'Arthur Buies (1840-1901). Après une vie mouvementée qui le mena en Guyane, en Irlande, à Paris et en Italie parmi les troupes de Garibaldi, Buies rentra au Québec et fonda des journaux francs-tireurs. Puis, dans la décennie 1870-1880, il changea de cap, s'allia au curé Labelle et consacra ses efforts d'écrivain à la colonisation. Les contradictions ne manquent pas dans la vie de ce «touche-à-tout talentueux»: admirateur de la langue et de la culture françaises, il est en même temps attiré par le progrès industriel et le républicanisme américain, tout en restant un loyaliste pancanadien.

Presque oublié aujourd'hui, Edmond de Nevers (1862-1906) fut un grand voyageur, ayant vécu une dizaine d'années en Europe et parlant plusieurs langues. Son érudition et sa connaissance des littératures française, anglaise et allemande font de lui un cas d'exception dans la vie intellectuelle du Québec. Pourtant, dit l'auteur, «le savoir d'Edmond de Nevers était superficiel, fruit de lectures nombreuses et mal digérées» et il faisait preuve «d'un esprit confus».

Édouard Montpetit (1881-1954), le seul universitaire du groupe et auteur d'une quinzaine d'ouvrages, fut l'un des premiers professeurs de l'École des Hautes Études commerciales de Montréal, et, de 1920 à 1950, secrétaire général de l'Université de Montréal. Ayant étudié trois ans à Paris, il resta fidèle au culte de la France et considéra le Québec comme une province de la mère-patrie. Il encouragea l'étude des sciences sociales et la formation professionnelle, rejeta le nationalisme et le mouvement ouvrier, et s'opposa à la conscription en 1917. Cependant il ne réussit pas à concilier l'économie et la culture, étant toujours tiraillé entre les besoins de son pays et son amour de la France.

L'auteur distingue chez le dernier représentant de cette époque, Jean-Charles Harvey (1891-1967), quatre périodes ou «saisons» d'activité intellectuelle qui sont souvent en contradiction. Auteur de deux romans politisés, Marcel Faure (1922) et Les demi-civilisés (1934), et fondateur-directeur du journal Le Jour (1937-1946), Harvey fut un journaliste courageux, le seul membre du groupe à n'avoir pas fait un stage en France. Dans sa jeunesse, Harvey dénonça l'émigration de ses concitoyens, critiqua l'enseignement des collèges et fustigea la Grande-Bretagne. Pendant la décennie 1920-1930, il devint plus conciliant, épousant une «philosophie des accommodements» et récusant les positions...

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