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Reviewed by:
  • Le langage de la pensée et l’écriture. Humbolt, Valéry, Beckett
  • Jean Fisette (bio)
Brian T. Fitch, Le langage de la pensée et l’écriture. Humbolt, Valéry, Beckett Montréal, XYZ éditeur, coll. Théorie et littérature, 296 p., 28$

Le langage ne sert-il que de simple véhicule transmetteur de la pensée qui alors aurait une existence propre et objective ? Ou bien, à l'inverse, la pensée ne serait-elle pas immanente au langage dont elle serait le produit ? Voilà une question essentielle qui inaugure la réflexion épistémologique et qui a été au cœur des démarches de l'herméneutique et de la sémiotique. Question essentielle mais extrêmement difficile en raison de son caractère général et de la multiplicité des aspects qu'elle comporte. En fait, c'est là un thème théorique qui répond parfaitement à l'idée de la complexité (au sens moderne donné à ce mot) et qui implique l'impossibilité d'une saisie exhaustive des composantes de la question et aussi l'impossibilité d'objectiver cette question en la séparant du langage de l'analyse. Bref, ce questionnement très exigeant découle du rejet philosophique de toute forme d'idéalisme où précisément s'affirmait l'autonomie et l'objectivité de la pensée.

Brian T. Fitch arrive à déjouer ces difficultés sans céder à la facilité de les abolir, en se donnant un objet d'analyse concret sur lequel greffer la réflexion : le texte littéraire de Samuel Beckett, notamment les dernières [End Page 73] œuvres, pour la plupart, des textes très courts, telles « The Voice of VERBATIM », un manuscrit resté inédit du vivant de l'auteur et qui constitue, croit-on, une première ébauche du texte majeur, Company / Compagnie, dans les deux versions anglaise et française de Beckett lui-même, Un soir, Mal vu mal dit, Ceiling et Worstward Ho.

Les questions soulevées qui initient la lecture des textes déploient un éventail de différents aspects liés à la problématique qui tient dans la tri-polarité : langage — pensée — écriture. De façon plus précise, les questions posées touchent les articulations entre l'image mentale et l'expression, les images mentales de l'oralité renvoyant à la parole et celles de la visualité, à l'écriture, l'intériorisation subjective d'une image ou d'un son et son objectivation par le biais de la langue partagée par la collectivité; enfin, ces aspects sont reportés sur les deux procédures inverses et complémentaires que sont l'écriture et la lecture. On comprendra l'importance que Brian T. Fitch attache à l'analyse du manuscrit dans la mesure où sa position intermédiaire en fait un lieu stratégique susceptible de révéler les mouvements de va-et-vient entre l'image mentale et la rédaction proprement dite, l'acte de penser désignant précisément ce mouvement dans l'incertitude et qui est théoriquement infini.

La lecture de Company / Compagnie est amorcée par une prise en compte du manuscrit qui concerne simultanément les versions dans les deux langues. Douze formulations successives d'une même phrase simple inscrivent le processus de réflexion et d'élaboration de ce que sera la première phrase du texte : « Une voix parvient à quelqu'un dans le noir. Imaginer ». Et : « A voice comes to one in the dark. Imagine. » Je me contente de simplement illustrer le type d'analyse et de réflexions auxquelles se prête Fitch sur un tel corpus : le terme « imaginer » vient modifier une version antérieure où l'on trouvait « réfuter ». Or, argumente-t-il avec raison, « réfuter » suppose un objet ou un contenu qui aurait été préalablement posé; autrement dit, ce mot est référentiel alors que le terme « imaginer » appelle un objet ou un contenu, mais qui est encore à survenir; en ce sens, le mot imaginer est prospectif. On comprendra que seul le terme « imaginer » pouvait faire sens dans la phrase qui initie un...

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