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  • Gérard Defaux :la personne, le personnage
  • Edwin M. Duval (bio)

Comme le savent très bien ses intimes et ses élèves, Gérard Defaux se place volontiers dans la lignée de Panurge, à tel point qu'il semble parfois s'identifier personnellement au compagnon du bon Pantagruel. Le pseudonyme électronique qu'il s'est choisi est bien « Panurge » ; il lui arrive même de signer de ce nom ses missives personnelles et ses dédicaces. La raison de cet attachement n'est pas difficile à trouver. Gérard a toujours gardé pour les « gens curieux » - ces Ulysse inquiets et touche-à-tout condamnés par une certaine tradition chrétienne et par les livres de Rabelais lui-même - une sympathie profonde. Comme Panurge, Gérard est en proie à une soif inassouvissable de voir et de connaître. « Que nuist sçavoir tousjours et tousjours aprendre, feust-ce d'un sot, d'un pot, d'une guedoufle, d'une moufle, d'une pantoufle ? » semble-t-il toujours se dire, comme le dit Pantagruel à son compagnon (mais en le narguant). C'est aussi sans doute le côté espiègle, malin et même un peu boute-feu de Panurge qui attire Gérard. Comme le trickster aux mille expédients qui harcèle le guet, qui désarçonne les présidents, qui rabaisse le caquet aux hautes dames et fait se conchier de honte les grands clercs, Gérard est un inlassable eiron qui dégonfle l'alazoneia universitaire, baffoue les hauts bonnets, les prétentieux et les agelastes. A l'écouter de près, n'entend-on pas quelquefois derrière ses propos même les plus sérieux un petit écho de cette dérision goguenarde caractéristique de Panurge, et même une petite trace de cette malice du peuple qui se venge des grands de ce monde en attachant des queues de renard aux marques vestimentaires de leur supériorité, en [End Page S196] éclaboussant les prérogatives dont ils se prévalent, en montrant du doigt leur nudité ?

Sans doute. Mais Gérard en serait-il pour autant à l'instar de Panurge, « malfaisant, pipeur, beuveur », « quelque peu paillard, et subject de nature à une maladie qu'on appelloit en ce temps-là 'faulte d'argent' », enclin au larcin, lâche, sophiste, égoïste et philautos ? C'est là où toute ressemblance cesse et que les intimes de Gérard sont bien obligés d'avouer leur perplexité devant l'identité que notre ami s'est donnée. Car sur le plan moral et personnel Gérard est tout le contraire de son éponyme d'élection : franc, généreux, courageux dans l'adversité et intrépide contre ses adversaires : bref, il est ce qu'on appelait au seizième siècle, sans la moindre nuance péjorative, « débonnaire » - d'un naturel noble, bon, généreux. Non « le meilleur filz du monde » à la manière panurgienne, mais bien « le meilleur petit et grand bonhomet, que oncque ceigneit espée » comme le noble protecteur et bienfaiteur du pauvre dévoyé Panurge.

Mais s'il fallait à tout prix chercher dans l'œuvre de Rabelais un modèle ou un type de Gérard, ce ne serait pas plus Pantagruel que son compagnon. Ce serait - j'en suis convaincu depuis bien longtemps, sans jamais avoir osé le dire à Gérard lui-même - ce ne saurait être que cet autre compagnon épique, nullement complexe et perplexe celui-là, mais intègre et confiant : Frère Jean des Entommeures. Gérard refuserait sans doute toute assimilation à un moine, surtout à un « vray moyne si oncques en feut depuys que le monde moynant moyna de moynerie ». Mais voyez un peu le héros de Seuilly : « jeune, guallant, frisque, de hayt, bien à dextre, hardy, adventureux, délibéré, hault, maigre, bien fendu de gueule, bien adventageux en nez.... » Plutôt que le malfaiteur narquois du Pantagruel, plutôt que le sophiste pusillanime et égoïste du Tiers Livre, plutôt que le poltron superstitieux du Quart, c'est le vaillant et bon compagnon du Gargantua qui fait penser tout de suite à notre Gérard : défenseur intrépide du service du...

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