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  • Les temps du passé français et leur enseignement
Emmanuelle Labeau et Pierre Larrivée, dir. Les temps du passé français et leur enseignement. Dans la collection Cahiers Chronos 9. AmsterdamRodopi. 2002. vii + 241 pages. 52 $US (broché).

Cet ouvrage contient une sélection de communications présentées lors de l'atelier du même titre « tenu le 25 mars 1999 à l'université d'Aston, au cœur de la britannique Birmingham » (avant-propos)2. Nos auteurs ne présentent pas un consensus sur les points qu'ils abordent. La racine des désaccords se trouve parfois dans les intuitions divergentes sur les exemples [End Page 92] et dans les systèmes de description utilisés par les auteurs3. D'autre part, comment on enseigne le passé en français dépend (ou devrait dépendre) de la conception qu'on en a. Et l'analyse de l'acquisition des temps du français en dépend aussi, et doit prendre en compte, d'autres facteurs encore. Dans l'espoir de mettre un peu d'ordre dans ce domaine (où même la terminologie n'est pas uniforme), je me concentrerai sur les points de description des temps du passé soulevés dans ce livre.

La recherche sur la question du temps en français est étonnamment abondante. Les Cahiers Chronos eux-mêmes en sont déjà à leur neuvième volume en 7 ans. Dans le volume recensé, si l'on additionne les références scientifiques énumérées à la fin de chaque article, on arrive facilement à plus de 200 titres. Auxquels je pourrais ajouter quelques autres, importants.

Il est remarquable aussi que le passé simple (PS, pour emprunter ce sigle, et d'autres, à nos auteurs) tienne autant de place dans les études sur les temps du passé, et même dans le présent ouvrage, pourtant à composante didactique explicite. La plupart des contributeurs semblent souscrire à la spirituelle caractérisation de Cellard : le PS est « passé mais pas mort ». Il « survit tranquillement », précise Wilmet « des essais historiques aux biographies et aux romans policiers, jusque dans les reportages journalistiques, les comptes rendus sportifs et les rédactions scolaires ». Engel (à laquelle je dois les citations de Cellard et de Wilmet) explique ainsi la situation : « Le PC [passé composé] ne peut tout à fait remplacer le PS, ni à l'écrit ni à l'oral : le PC exprime les faits du passé d'un autre point de vue que le PS » (p. 4). Mon avis diverge sur un point : ce qui est plus important que la distinction oral-écrit est le caractère unique du registre de la conversation ordinaire, sans autres auditeurs que les participants. (Dans ce sens voir Clark 1996.) Or, dans ce registre basique, le passé simple est aujourd'hui carrément insolite. Les cas d'utilisation orale du PS par des présentateurs de radio, mentionnés par Engel, ne sont pas des contre-exemples à cette généralisation. Même s'il se trouve qu'un présentateur utilise sur les ondes le passé simple en s'adressant à un collègue, il ne faut pas oublier que leur dialogue est alors une représentation donnée à un auditoire absent, diffus et qui peut compter des milliers de personnes. Cette situation est bien éloignée de la simple conversation entre deux personnes, sans public. Certes, le passé simple n'a pas l'ambiguïté du passé composé, et nombre de francophones (dont les contributeurs de cet ouvrage et moi-même) ont de robustes intuitions sur sa sémantique. Mais en langue ordinaire l'usage du PS est en effet « passé », et vouloir l'enseigner pose donc divers problèmes (lesquels ne sont pas mentionnés dans le présent volume).

Que dans la conversation ordinaire le passé simple soit remplacé (même si pas tout à fait) par le passé composé fait que celui-ci a ajouté ce nouveau rôle de prétérit à son [End Page 93] rôle ancien de perfectif (Rideout)4. Tandis que Il se rasa. Il se brossa les dents5 ne peut qu'indiquer une consécution d'événements dans un récit, Il s'est rasé. Il s'est brossé les dents6 a, outre cette interprétation, une qui est propre au passé composé: celle selon [End Page 94] laquelle ces deux événements ont eu lieu (chacun à un moment quelconque dans le passé), pas juste l'un après l'autre et pas nécessairement dans l'ordre dans lequel ils sont exprimés7.

Les autres rapports temporels exprimés par des passés simples se retrouvent aussi au passé composé. Molendijk mentionne l'« inclusion temporelle » et la « coïncidence globale » dans ses exemples des pages 93 et 95, repris ci-dessous, en (1a) et (2a) ; mais je peux y ajouter les variantes au passé composé (1b) et (2b).

  1. 1.

    1. a. Pierre joua un match formidable. Il marqua le premier but.

    2. b. Pierre a joué un match formidable. Il a marqué le premier but.

  2. 2.

    1. a. —Achevez-les ! cria le tyran. Jean pâlit. Pierre s'évanouit.

    2. b. —Achevez-les ! a crié le tyran. Jean a pâli. Pierre s'est évanoui.

Molendijk attribue l'inclusion temporelle dans (1a) à la méronymie de « marqua le premier but » relativement à « joua un match formidable ». Quant à (2a), la « coïncidence globale » entre le pâlissement et l'évanouissement est, à mon avis, plus exactement une non-séquentialité entre les deux événements, tous deux groupés comme postérieurs au cri. Quoi qu'il en soit de l'analyse de (1a) et de (2a), les rapports temporels et logiques sont les mêmes dans (1b) et (2b) respectivement.

De même, quelle que soit l'analyse donnée à l'exemple cité par Rideout (p. 26) Marie chanta et Pierre l'accompagna, les rapports temporels sont les mêmes au passé composé dans son sens prétérit : Marie a (alors) chanté et Pierre l'a accompagnée.

Enfin, on n'arrive pas à imposer une séquentialité à rebours avec une sémantique appropriée du verbe, comme celle de précéder—ni avec le passé simple ni avec le passé composé. On ne bute généralement pas sur (3a), en la rejetant comme contradictoire ; on adoptera plutôt un scénario comme le suivant : Marie fait les premiers pas, Pierre la dépasse et reste devant elle. Et la même interprétation vaut encore pour le passé composé prétérit (en 3b) ; ajouter ensuite, il est vrai, clarifierait les choses, pour (3a) comme pour (3b).

(3)

  1. a. Marie partit et Pierre la précéda. [End Page 95]

  2. b. Marie est (alors) partie et Pierre l'a précédée.

Est-ce à dire que le passé simple est toujours remplaçable par le passé composé ? L'écrivain Marcel Pagnol a montré de façon très suggestive que « l'histoire est finie avant d'avoir commencé avec le PC [4a] tandis que le PS crée le suspense narratif [4b] » (Facques, p. 111 ; cf. aussi Ritz, p. 38.)

(4)

  1. a. Nous avons été réveillés par la fusillade.

  2. b. Nous fûmes réveillés par la fusillade.

Le fait est pourtant qu'on ne dirait tout simplement pas (4b) en français ordinaire—ni d'ailleurs (4a), à cause du nous, entre autres. Dans cette variété (ou ces variétés), une bonne approximation de (4b) serait Tout à coup on a été réveillés par la fusillade. Le passé composé semble donc avoir parfois besoin de modifieurs pour se comporter comme un passé simple : tout à coup, soudain, alors, etc. C'est le prix à payer pour que le passé composé puisse remplacer le passé simple en français ordinaire.

Nous avons opéré jusqu'ici avec la distinction habituelle entre deux passés composés, celui de Il a alors lu toute la page et celui de Il a maintenant lu toute la page (exemples cités par Larrivée, p. 51, à la suite de Wilmet). Un auteur comme Vet (1980) va jusqu'à distinguer quatre types de PC. En sens inverse, Ritz propose une représentation sémantique unifiée du passé composé (p. 47) :

a VP in the PC [ ...] denot[es] an event, located in the past of the moment of speech [...] seen from the vantage point of the moment of speech. The PC does not tell us more than that, and it is an indefinite past tense which, because of its underspecified character and the fact that it has a TPpt [=Temporal Perspective Point] located at the moment of speech, can combine with a variety of adverbs.

Une conception unifiante est en tant que telle séduisante, et celle-ci est intuitivement plausible. Elle implique que lorsqu'il n'y a pas d'adverbial ou de co-texte en général, les ambiguïtés doivent être levées pragmatiquement : ainsi pour distinguer Elle est sortie (elle n'est plus ici) de Elle est sortie (tout à l'heure et rentrée).

Un « nouveau temps du passé » autre que le PC dans son sens d'antériorité serait le plus-que-parfait « ponctuel » (lequel serait non antérieur), comme dans Un autocar n'avait pu éviter deux autres cars arrêtés ... Hier, une information judiciaire a été ouverte. Dans cet exemple (simplifié à partir de celui de Engel, p. 7), l'antériorité n'est pas signalée explicitement (autrement que par l'ordre iconique), alors que dans un exemple comme Il est tombé parce qu'il {s'était/s'est} évanoui, elle l'est, par la conjonction causale. À mon avis cependant, dans tous les cas, l'événement décrit par le plus-que-parfait est antérieur à un point de repère qui se trouve lui-même dans le passé. Dans Il est tombé. Il s'était évanoui ce point de repère est l'intervalle de temps où il est tombé, de même que dans Il s'était évanoui. Il est tombé, où on a la même séquence des événements. La séquence inverse des événements, tout à fait plausible, est exprimée par la seule permutation du plus-que-parfait et du passé composé : Il s'est évanoui. Il était tombé (sur la tête). Même en l'absence de connecteur temporel ou d'adverbial de temps, quand un passé composé ou un imparfait alterne dans un texte avec le plus-que-parfait, » le PQP [ ...] aura toujours la nuance d'antérieur » (Engel, p. 8). Nuance seulement ?

C'est à l'imparfait que l'article de Molendijk oppose le passé simple. D'abord cet auteur entreprend la déconstruction des analyses traditionnelles de l'opposition entre ces [End Page 96] deux temps. L'imparfait imperfectif ? Molendijk laisse entendre qu'il ne l'est pas dans Je vis que Pierre tombait. Pourtant, je trouve que Je vis que Pierre tombait s'oppose nettement à Je vis que Pierre était tombé (où la chute est nettement terminée). J'ajoute que l'imparfait qu'on a dans Pierre tombait de la fenêtre (quand je l'ai vu) est, en tant qu'inchoatif, lui aussi imperfectif: cette phrase ne serait plus vraie une fois que Pierre aurait « atterri ».

PS ponctuel et IMP duratif, comme dit la tradition ? L'imparfait n'est-il pas ponctuel dans Je vis que Pierre tombait ? Oui, répliquerai-je à Molendijk, mais c'est un imparfait de concordance, paraphrasable en passé simple quand on remplace l'hypotaxe par la parataxe: Pierre tomba. Je vis cela est l'interpretation preférée relativement à Pierre tombait. Je vis cela. Car, hors le cas de concordance, l'imparfait va moins bien avec tomber qu'avec un verbe plus nettement continu, comme dégringoler: Pierre dégringolait; je vis Pierre en train de dégringoler8. L'autre contre-exemple à l'équation traditionnelle serait celui d'un « PS duratif », que Molendijk (p. 93) pense trouver dans (5).

(5) Son père le forçait toujours à manger de la viande crue. C'est pourquoi, plus tard, il n'accompagna jamais ses camarades à la chasse.

J'objecte à notre auteur que dans (5) ce n'est pas le PS qui exprime la durativité mais plutôt le sens lexical du verbe « accompagner ». Si on remplace accompagner par le ponctuel frapper, il n'y a (Dieu merci !) rien qui ressemble à de la durativité dans (6).

(6) Son père le forçait toujours à manger de la viande crue. C'est pourquoi, plus tard, il le frappa (mortellement).

Dans (5) et dans (6) les deux phrases sont dans un rapport de consécution (indiqué par plus tard). C'est cette séquentialité qui entraîne le passé simple dans la deuxième phrase. L'imparfait serait moins heureux dans ce contexte:

(7) Son père le forçait toujours à manger de la viande crue. C'est pourquoi, (??plus tard,) il n'accompagnait jamais ses camarades à la chasse.

(Sans plus tard, (7) est tout à fait correcte, mais n'a pas le même sens que (5) : l'imparfait de la deuxième phrase en est alors un de concomitance : dans ce cas, c'est pendant la période où il mangeait de la viande crue qu'il n'allait pas à la chasse, et non après.)

« Quant à l'opposition premier plan/arrière plan », Molendijk reconnâit qu' « il y a beaucoup d'emplois du PS et de l'IMP qui impliquent une forte mise au premier plan (PS) ou à l'arrière-plan (IMP) de l'attention, respectivement » (p. 92). Mais il pense trouver un « IMP de premier plan » dans (8).

(8) J'aperçus une lueur multicolore qui, brusquement, traversait le ciel gris.

Dans (8) « notez la présence de brusquement », commente Molendijk (p. 93). Mais, pour l'auteur du présent compte rendu, dire que ce brusquement fait passer l'action au premier plan fait fi de la syntaxe: après tout, l'IMP (et brusquement) se trouvent dans une proposition subordonnée ! Il me parâit nécessaire d'avoir des critères linguistiques de la distinction premier plan–arrière-plan, et pas seulement une image mentale. [End Page 97]

En ce qui concerne la partie constructive de son article, Molendijk fournit une règle de possibilité d'emploi du PS et une autre de possibilité d'emploi de l'IMP, règles où les rapports temporels (postériorité, etc.) correspondent à des rapports logiques (comme narration, causalité, etc.). Considérons les exemples (9) ci-dessous (seul (9a) est de Molendijk). Le passé simple indique certes la postériorité (comme le montre l'impossibilité de (9b) et la possibilité de (9c), ainsi que l'opposition en (9h)), mais il s'agit de la postériorité de l'événement décrit par la phrase (ii) relativement à celui de (i). Cependant, pour expliquer l'usage de l'imparfait, on doit peut-être faire appel, comme Molendijk, à la « référence à des actions présupposées ou impliquées » (p. 99). Certes (9dii) exprimerait tout simplement la concomitance avec la première phrase de (9d) ; mais, pour (9a, e, g), la concomitance porterait sur une présupposition de la première phrase :il était vivant avant le 15 avril; il n'avait pas encore la bourse quand il obtenait ses A+. Le cas de (9f) est spécial : c'est l'imparfait « de rupture », qui exprime une postériorité soudaine.

(9)

  1. a. (i) Il mourut le 15 avril. (ii) Il fumait 30 cigarettes par jour.

  2. b. ........ (ii) #Il fuma 30 cigarettes (par jour).

  3. c. ......... (ii) On offrit 30 cierges par jour pour le repos de son âme.

  4. d. .........(ii) Il avait tout juste vingt ans.

  5. e. .........(ii) On {offrait/#offrit} 30 cierges par jour pour sa guérison.

  6. f. .........(ii) {Immédiatement/Le 16 au matin}, on offrait 100 000 $ pour retrouver son assassin.

  7. g. Il reçut une bourse de 10 000 $. Il avait A+ dans tous ses cours.

  8. h. Il reçut une bourse de 10 000 $. Il #l'investissait/l'investit dans les industries de la langue.

Dans sa subtile contribution, Françoise Labelle reprend la typologie de Smith (1991) en trois aspects de base: le perfectif, l'imperfectif et le neutre. Comme Molendijk, elle pense que l'imparfait n'est pas un imperfectif. Pour elle, c'est un neutre (au sens de Smith) car « on [l']utilisera pour une situation ouverte qu'on peut clore ou non » (p. 72). Notre auteure présente immédiatement le contraste suivant :

(10)

  1. a. En 1939, il y avait 122 000 étudiants en France et depuis ce chiffre n'a pas bougé /mais aujourd'hui, ce chiffre a augmenté ...

  2. b. ?En 1939, il y a eu 122 000 étudiants en France et depuis ce chiffre n'a pas bougé.

J'avoue avoir des difficultés à comprendre ce concept de « neutralité » (et à suivre Labelle dans ses développements) : que (10a) admette une continuation à la phrase à l'imparfait ne signifie pas que le processus soit ainsi clos. En fait, (10a) et (10b) sont parallèles aux exemples, de type classique, (11a) et (11b) (l'ajout de et même {avant/après} à (11b) constituerait une correction (comme celle qu'on a en (10b)).

(11)

  1. a. Il habitait Londres {pendant la guerre/de 1939 à 1945/?pendant sept ans} (et aussi {avant/après }). [End Page 98]

  2. b. Il a habité Londres {pendant la guerre/de 1939 à 1945/pendant sept ans}9.

Si l'on en croit Facques, les analyses du type de celles évoquées précédemment ne suffisent pas à prédire les alternances entre les temps : certains « changements de temps « inattendus » [sont] interprétés comme des « ruptures » » (p. 105). En fait, après analyse, cette auteure n'arrive à considérer comme rupture temporelle « que les changements temporels qui indiquent un marquage idéologique du locuteur à l'égard d'énoncés ou d'énonciateurs dont il se différence » (p. 128–129). Par ailleurs, elle fait l'hypothèse que les verbes de sentiment et les verbes interprétatifs ont une « prédilection » pour l'imparfait.

Somme toute, le présent livre offre une grande variété de données et d'analyses intéressantes, voire pénétrantes. On ne peut s'attendre à plus d'un recueil de communications données par des chercheurs d'orientations diverses. Il est donc difficile d'en retirer une idée cohérente de ce que sont les temps du passé en français. À vrai dire, les utilisations des temps cachent nombre de subtilités, sur lesquelles les intuitions varient parfois (d'une personne à l'autre, voire d'un moment à l'autre). Il y a encore de quoi publier quelques cahiers Chronos !

Paul Pupier
Université du Québec à Montréal1

Références

Clark, Herbert. 1996. Using language. Cambridge : Cambridge University Press.
Ducrot, Oswald. 1979. L'imparfait en français. Linguistische Berichte 60:1-23.
Guillemin-Flescher, Jacqueline. 1981. Syntaxe comparée du français et de l'anglais. Problèmes de traduction. Paris : Ophrys.
Klein, Wolfgang. 1994. Time in language. Londres : Routledge.
Moeschler, Jacques, dir. 1998. Le temps des événements : Pragmatique de la référence temporelle. Paris : Kimé.
Smith, Carlotta S. 1991. The parameter of aspect. Dordrecht : Kluwer.
Vet, Co. 1980. Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain. Genève : Droz.
Vinay, Jean-Paul et Jean Darbelnet. 1977. Stylistique comparée du français et de l'anglais. Montréal : Beauchemin. [End Page 99]

Footnotes

1. Les commentaires de Brendan Gillon m'ont permis de remarquer certaines erreurs dans une première version du présent compte rendu.

2. Il n'est donc pas surprenant que l'anglais soit aussi fréquemment considéré et constitue la langue d'un des articles. En plus de l'avant-propos des codirecteurs du volume, les contributions sont les suivantes : « Les nouveaux temps du passé ? », par Dulcie M. Engel (p. 1–13) ; « L'opposition perfectif/imperfectif dans le passé français », par Douglas L. Rideout (p. 15–29) ; « The semantics of the passé composé in contemporary French : towards a unified representation », par Marie-Eve Ritz (p. 31–50) ; « Sémantique conceptuelle et sémantique référentielle du passé composé » (p. 51–69), par P. Larrivée ; « Point de vue et aspect en français et en anglais », par Françoise Labelle (p. 71–89) ; « La structuration logico-temporelle du texte : le passé simple et l'imparfait du français », par Arie Molendijk (p. 91–104) ; « Passé composé, imparfait et présent dans les récits journalistiques : des alternances aux ruptures temporelles », par Bénédicte Facques (p. 105– 133) ; « Écarts entre manuels et réalités : un problème pour l'enseignement des temps du passé à des étudiants d'un niveau avancé », par Anne Judge (p. 135–156) ; « Circonstants atténuants : l'adjonction de localisateurs temporels aux formes passées dans la production écrite d'apprenants anglophones avancés », par E. Labeau (p. 157–179) ; « L'acquisition des temps du passé en français par l'apprenant dit avancé : une approche lexicale », par Martin Howard (p. 181–204) ; « Mais dans ce moment le chien est venu ou comment les apprenants formels polonophones s'approprient le système temporel du français », par Urszula Paproca-Piotrowska (p. 205–229) ; « Conclusions du colloque », par P. Larrivée, lequel rapporte quelques interventions faites en séance plénière (p. 231–241).

3. Sauf F. Labelle, qui utilise dans une demi-page les représentations de la Discourse Representation Theory (DRT), il n'y a pas de formalisme dans le présent ouvrage. D'autre part, aucun article ne provient des pragmaticiens de Genève, et aucun article ne fait référence à leurs travaux (par exemple, à Moeschler 1998).

4. Larrivée (p. 51) reprend, quant à lui, la terminologie de Wilmet, lequel distingue entre « interprétations d'antérieur » et « de parfait ».

5. Un exemple de ce type est probant car « l'interprétation d'antériorité [y] relève [...] de la forme grammaticale », et non « de la logique séquentielle des événements », comme dans Hier, je me réveillai, me levai et pris mon petit déjeuner. Ce dernier exemple est pourtant le seul qui soit mentionné par Rideout (p. 16), pour affirmer que « la différence entre le prétérit et l'imparfait n'est pas une question de temps (tense) » (p. 16). Au contraire, un autre contributeur, Molendijk, essaie « de montrer qu'on peut analyser la différence entre le PS et l'IMP en termes (clairs) purement temporels » (p. 91).

6. Je trouve la même différence quand je remplace la juxtaposition des deux phrases par leur coordination. Dans Il s'est rasé et il s'est brossé les dents, on a encore cette interprétation en termes de liste d'événements qu'on ne retrouve pas dans Il se rasa et il se brossa les dents (sans plus de co-texte). Par contre, les constructions « réduites » du type Il s'est rasé et (s'est) brossé les dents semblent décrire un seul événement composé de deux sous-événements (si tant est que les intuitions sont assurées là-dessus). Quant aux constructions subordonnées, cette subordination y a un effet prioritaire. Elle l'emporte sur l'ordre iconique—ce que Larrivée n'a pas l'air d'apercevoir complètement. Son exemple (en p. 53 ; reproduit ici comme (i)) est certes bien décrit comme « événement principal à la forme composée [ ...qui] apparâit consécutivement à l'événement de la subordonnée » (p. 54).

(i) Julie a lu le dossier quand elle a commencé à soupçonner la collision.

Mais il aurait fallu noter que dans (i) l'ordre des événements n'est pas l'ordre iconique (celui des propositions qui les expriment). Un exemple (i') aurait bien confirmé que la proposition subordonnée exprime un événement préalable à celui de la principale (ou, en tout cas, qui débute avant celui décrit par la principale).

(i') Julie a commencé à soupçonner la collision quand elle a lu le dossier.

Par rapport à (i), (i') inverse l'ordre des événements : cette fois, c'est après avoir commencé à lire le dossier que Julie a eu des soupç ons. Puisque le connecteur temporel quand n'indique pas la séquentialité en tant que tel (contrairement à avant que et après que, par exemple), c'est la subordination elle-même qui exprime une « éventualité » préalable à celle exprimée par la proposition régissante.

Par contre, il n'y a pas une telle inversion des événements entre l'exemple de Larrivée (ii, ci-dessous) et mon exemple (ii'): dans les deux cas, l'émergence du soupçon occupe un intervalle de temps qui reste inclus dans celui qui est occupé par la lecture du dossier. Le caractère englobant de l'imparfait l'emporte sur le préalable exprimé par la proposition subordonnée.

(ii) Julie lisait le dossier quand elle a commencé à soupçonner la collision.

(ii') Julie a commencé à soupçonner la collision quand elle lisait le dossier.

Dans le présent ouvrage, l'impact de la subordination sur les relations temporelles n'est pas considéré plus avant que les observations de Larrivée.

7. Ritz (p. 38), après Guillemin-Flescher (1981), cite un cas d'« inversion temporelle » qu'on trouverait avec le passé composé : La mâitresse d' école a grondé l'élève. Il est arrivé en retard. Pour moi, le plus-que-parfait serait moins étrange dans ce sens-là: la seconde phrase devrait être Il était arrivé en retard, si on veut indiquer le motif de la réprimande de la maîtresse. Un meilleur exemple aurait été: La mâitresse d'école a grondé l'élève. Il n'a pas répondu à la question; ou encore l'exemple de Moeschler (1998:297) : Max est tombé. Jean l'a poussé. La connaissance du monde l'emporte sur l'ordre temporel par défaut : un élève peut être grondé par sa mâitresse parce qu'il n'a pas répondu préalablement à sa question ; on tombe souvent pour avoir été préalablement poussé. Changez encore légèrement la deuxième phrase en Il n'a rien répondu. Cette phrase est alors interprétée comme décrivant un événement postérieur. (Logiquement, pourtant, l'élève aurait pu être grondé pour n'avoir rien répondu, mais ce n'est pas l'interprétation préférée du texte précédent.) Un contraste comme La maîtresse d'école a grondé l'élève. Il est arrivé en retard {le lendemain/ ?la veille} ne suggère-t-il pas qu'on interprète selon le scénario le plus plausible ? Qu'on n'attend généralement pas le lendemain de l'infraction pour faire une réprimande, par exemple. La préférence pour la postériorité semble plus nette si on remplace le passé composé par le passé simple dans la seconde phrase des exemples précédents.

8. Pour un verbe « ponctuel » mais désignant une action répétable comme sauter, l'imparfait indique par défaut la répétition : Pierre sautait (sans plus de co-texte) veut dire que Pierre faisait des sauts répétés. C'est un des points sur lesquels la forme progressive anglaise se comporte comme l'imparfait français (Klein 1994:96).

9. Ces exemples développent (et modifient) une analyse de Vinay et Darbelnet (1977, § 117). L'opposition ouvert-fermé se retrouve aussi dans ces exemples de Ducrot (1979) : L'année dernière, Paul habitait à Paris (*mais seulement en mai) vs. L'année dernière, Paul a habité/habita à Paris, mais seulement en mai.

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