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MLN 119.4 (2004) 892-896



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Daniel Heller-Roazen. Fortune's Faces. The Roman de la Rose and the Poetics of Contingency. Baltimore and London : The Johns Hopkins University Press, 2003. 206 pages.

Fruit d'une thèse de doctorat consacrée au Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meun, le livre que donne Daniel Heller-Roazen vient s'ajouter au nombre déjà important de ses articles et traductions ; la diversité de ces travaux témoigne de la curiosité intellectuelle de leur auteur, dont les intérêts vont aussi bien à la philosophie qu'à la littérature comparée. Dans le domaine des lettres médiévales, il fallait non seulement de l'audace, mais encore de l'érudition pour se prononcer, à la suite de tant d'éminents romanistes, sur ce que l'on peut appeler le chef-d'œuvre de la littérature européenne du Moyen Age.

Copié, glosé et remanié dans un grand nombre de manuscrits, traduit dans plusieurs langues vernaculaires, le Roman de la Rose se situe au centre des écritures médiévales. Depuis la fin du XIIIe siècle jusqu'aux premières impressions de la Renaissance, en passant par sa mise en prose sous la plume de Jean Molinet, il n'a cessé d'être lu. Son rôle déterminant dans la naissance de la critique littéraire se mesure à la virulence des débats qu'il a suscités, parmi lesquels la fameuse querelle. Même si le ton des critiques actuels n'est plus celui de Christine de Pisan et des frères Col, le foisonnement des travaux que le Roman inspire aujourd'hui encore est remarquable : livres et conférences se succèdent, sans parvenir, semble-t-il, à épuiser la richesse de leur objet. Celle-ci tient moins aux dimensions de l'œuvre (plus de quatre mille octosyllabes pour la partie attribuée à Guillaume de Lorris, et près de dix-huit [End Page 892] mille pour celle de Jean de Meun) ou à l'extraordinaire densité de son écriture (que la diversité de ses motifs a fait qualifier d'encyclopédique) qu'à la subtilité de sa forme. C'est que le Roman de la Rose pose une énigme sans cesse renouvelée, laquelle n'est autre que celle de ses propres conditions d'existence. Commencé par Guillaume, continué par Jean, le texte s'offre à ses lecteurs comme une œuvre à la fois une et double, dans une construction paradoxale.

Que le roman soit marqué par une telle bipartition (d'ailleurs soulignée par la mise en page de certains manuscrits) n'a pas échappé à ses premiers commentateurs modernes. Mais ceux-ci, de Paulin Paris à C. S. Lewis, n'y ont vu qu'un défaut de cohérence, aggravé par le désordre de la partie de Jean de Meun. Si les écrits de Roger Dragonetti, au terme d'un revirement complet de la critique, insistent au contraire sur l'unité de l'œuvre - au point de postuler l'existence d'un seul et unique auteur -, peu d'ouvrages ont depuis lors abordé le texte dans son ensemble. Sans chercher à résoudre l'ambiguïté de sa construction, Daniel Heller-Roazen définit, quant à lui, le Roman de la Rose comme un texte « complètement incomplet » (7), car placé, dans son écriture même, sous le signe de la contingence.

L'objet de Fortune's Faces consiste ainsi à mettre au jour ce qui, à chaque niveau de la construction du roman, témoigne de sa capacité à différer de lui-même (« its own capacity to be different from itself », 10). La démarche adoptée par l'auteur, sans viser à l'exhaustivité, se donne pour but d'éclairer l'ensemble de l'œuvre grâce à l'analyse de certains points considérés comme emblématiques...

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